vendredi 30 novembre 2012

« Je ne suis pas féministe, mais... »


Voilà une phrase que j'entends sans arrêt, en ce moment. Comme un espèce de mantra qu'on répèterait pour se protéger des mauvais esprits.
Il faut dire que quand je me présente ou que « j'avoue » (ce sont les crimes qu'on avoue, non ?) que je me revendique « féministe », j'ai toujours l'impression d'avancer en terrain miné. J'ai toujours l'impression de devoir me justifier, m'excuser, et gare à moi si je coupe le fil bleu à la place du fil rouge ; c'est l'explosion assurée.

Alors je voudrais rassurer la jeune génération dont je fais partie et qui a l'air de croire que le féminisme est une sorte d'insulte, un mouvement agressif et identitaire (une sorte de racisme ?) voire une maladie contagieuse.
NON, être féministe n'est pas une tare. NON, ce n'est pas un désir de revanche ou une soif de guerre. C'est une recherche de paix et de respect, au contraire.
Il y a un test très simple, qui consiste en deux questions :
Est-ce que vous considérez que tous les êtres humains sont égaux en droits ?
Est-ce que vous considérez que les femmes sont des des êtres humains ?
Oui ? Bravo ! Vous êtes féministe !

C'est évidemment un test réducteur et il y a des milliers de féminismes différents, et pourtant c'est un bon résumé : le féminisme, c'est chercher l'égalité des droits pour les femmes et pour les hommes, et le respect entre les sexes. Le féminisme, c'est l'humanisme tout simplement.

Partant de là, ce que je trouve effrayant, ce n'est pas de se dire féministe, c'est au contraire d'oser affirmer : «  Je ne suis pas féministe ». Ah bon ? Tu es contre l'égalité des sexes ? Intéressant. J'imagine mal quelqu'un affirmer « Je ne suis contre le racisme », étonnamment.

Alors voilà une liste de raisons pour lesquelles on peut, qu'on soit femme ou homme, être fier de se revendiquer féministe :
- D'abord, c'est une belle façon de rendre hommage aux féministes qui nous ont précédé-e-s. Me revendiquer féministe, c'est dire que je sais grâce à qui j'ai aujourd'hui le droit de vote, l'accès à la contraception, la possibilité d'avoir un salaire et un compte en banque à mon nom propre, le choix de qui j'épouse (ou non), la maîtrise de mon corps, bref, la reconnaissance de ma dignité d'être humain. Toutes ces choses qui sont aujourd'hui des droits mais qui, hier encore, étaient des privilèges interdits aux femmes. L'héritage de ces femmes et des hommes, je le porte et je le revendique fièrement.
- Dans le monde, d'après l'ONU, 1 femme sur 3 sera violée, battue ou tuée par un homme, généralement son compagnon. En France, 75 000 femmes sont violées chaque année ; une minorité de violeurs sont condamnés. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. La misère et la précarité ont une visage de femme. Les tâches ménagères sont effectuées à 80% par les femmes. Les parents célibataires sont à 90% des femmes. L'écart de salaire, à travail et compétences égales, reste de 10% entre hommes et femmes. Une femme qui a la trentaine ne peut pas aller en entretien d'embauche sans craine la question redoutable, à laquelle toutes les réponses sont fausses : « Et vous comptez avoir des enfants ? ». L'Assemblée nationale n'est toujours composée que de 26% de femmes et les expertes interrogées par les grandes chaines de télé restent marginales. Bref, on peut raisonnablement dire que la route est encore très longue avant de parvenir à l'égalité effective. Donc, n'en déplaise à Carla Bruni, que nos générations ont encore besoin du féminisme.
- Une étude, effectuée dans 40 pays pendant 30 ans a démontré que le facteur principal dans la réduction des violences contre les femmes n'est pas le fait d'avoir un dirigeant féminin, un parlement paritaire ou un gouvernement de telle ou telle tendance ; c'est la présence et l'implication des associations féministes. Cette violence est toujours endémique ; par conséquent, l'action féministe est toujours vitale. Au sens propre du terme.
- Le féminisme n'a jamais tué personne ; le machisme tue tous les jours.
- … Et tant d'autres !

jeudi 8 novembre 2012

Sacrifiées pour les autres

Ce soir, je suis furieuse. Réellement furieuse.
Furieuse, parce que je lis, comme argument pour contrer l'idée de pénaliser les clients de la prostitution, que "Depuis la pénalisation du client en 1999, les violences sexuelles sont en constante progression en Suède."
Comme si viol et prostitution avaient un lien quelconque.

Cette idée m'écoeure, et à plus d'un titre.
Partons d'abord du principe que ceux qui utilisent cet argument ont raison. Que les violences sexuelles ont augmenté depuis la pénalisation du client en Suède, et qu'il y a un lien entre les deux.
Est-on censés accepter, dans une société du XXIème siècle, qu'une partie de la population soit offerte en sacrifice pour protéger les autres ?! Oublie-t-on que les personnes prostituées sont, elles aussi, victimes de viols à répétition et de violences inacceptables ?
L'idée, ignoble, qui se cache derrière cet argument, c'est qu'il y a deux catégories de femmes : les femmes "normales" et les prostituées. Qui peuvent plus que les autres supporter les violences masculines, qui peuvent être offertes en holocauste pour préserver les autres. Cette idée était répandue au Moyen Âge. Les prostituées étaient tolérées en ville, parce qu'ainsi elles préservaient du pêché les femmes "honnêtes". Depuis cinq cents ans, les droits de l'humain ont largement progressé. Mais cette idée n'a pas bougé d'un poil. D'ailleurs, en France, quand une joggeuse est assassinée, l'information fait la une des journaux. Quand une prostituée est assassinée, c'est comme si elle ne méritait pas une ligne.

Un autre raison pour laquelle cet argument me hérisse, c'est qu'on fait à nouveau porter la responsabilité du crime à la victime. Il y a des hommes qui violent ? Il faut leur fournir un exutoire pour éviter qu'ils ne violent des femmes "convenables" ! Surtout, ne nous posons pas de questions sur l'éducation que la société propose aux garçons. Ne remettons pas en cause les injonctions qu'ils reçoivent dès leur petite enfance pour apprendre à "être un homme" ("ne pleure pas", "sois un homme", "défends-toi"...), à cacher leurs émotions et à se sentir supérieurs aux filles ("tu pleures comme une fillette !", "t'es une petite fille ou quoi ?"...). Non, plutôt que d'apprendre aux hommes à ne pas violer, apprenons aux femmes à avoir peur et à accepter qu'on en offre d'autres en sacrifice.

Et enfin, ce qui m'agace dans cette "analyse", c'est qu'on nous présente deux faits séparés, sans aucune preuve qu'il y a un lien entre les deux. Ou que le lien est bien celui qu'on nous présente. En France, seules 10% des victimes de viol portent plainte. En Suède, une politique d'éducation non-sexiste est en place depuis plus trente ans. Qui peut dire que si le nombre de viols rapportés augmente, ce n'est pas parce que la parole des victimes est plus respectée qu'en France et donc plus libérée ? A-t-on déjà oublié la monstrueuse affaire des viols en réunion de Créteil et les insultes qu'ont subies les deux victimes ? Et les 40 viols par jour que subissent les prostituées, leurs plaintes qui ne sont presque jamais écoutées par la police ? Comme il est simple de faire baisser les statistiques en méprisant la parole des victimes !

On veut nous faire croire que la politique de l'abolition de la Suède est un fiasco. Qu'on aille constater la situation à Amsterdam où les femmes sont exposées en vitrine et où, malgré la légalisation de la prostitution, seuls 2% des personnes prostituées se disent satisfait-e-s de leur travail.

Qu'on pense encore à un simple fait : le rappot Global Gender Gap, basé sur l'égalité hommes - femmes en termes de salaires, d'accès à la santé, à l'éducation et de représentation en politique, classe la Suède 4ème après l'Islande, la Finlande et la Norvège. Trois pays pénalisant les clients.
La France ? 57ème.

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Un métier comme un autre ?
Not for sale

dimanche 2 septembre 2012

Le marketing genré


Brosses à dents. Cartes bleues. Stylo bic. GPS. Apéricube. Samsung. Lego. Playmobil. Kinder Surprise... Connaissez-vous le point commun entre ces différents produits ? Ils possèdent tous des gammes estampillées « pour femmes / pour filles ».

Généralement roses ou violettes, avec des paillettes, et renvoyant les filles et les femmes au culte de la beauté / à la superficialité / à la consommation / aux travaux ménagers. Chacun de ces nouveaux produits est un nouveau pas en arrière, grâce au marketing genré qui a notamment comme objectif, évidemment, de faire rentrer plus d'argent en créant des besoins qui n'existent pas.
Seulement ça ? Pas si sûr.
Parce que, globalement, ces gammes sont tellement stéréotypées voire insultantes pour les femmes parce que paternalistes, que beaucoup réagissent ; ces campagnes genrées peuvent nuire à l'image de la marque, tandis que seules 17% des femmes disent acheter des produits estampillés « pour femmes ».

Vous pensez que j'exagère en qualifiant ces produits d'insultants ? Regardons par exemple la brosse à dent pour femmes :

« une tête plus fine adaptée aux bouches plus petites » : bientôt, il faudra mesurer la taille de sa bouche avant d'acheter une brosse à dent ? Non parce que deux hommes ou deux femmes n'ont certainement pas une bouche de la même taille !
« un design fin et élégant » : car nous les femmes vivons un défilé de mode permanent, jusque dans nos salles de bain.
« une préhension douce et facilitée » : car nos faibles menottes de femmes auraient du mal à saisir une brosse à dent ? Et dire que je n'avais jamais été prévenue ! Le voilà, le paternalisme insultant !

Concernant le « Cristal for her », c'est la même chose :
« un corps coloré plus fin pour une meilleure prise en main des femmes » : car les femmes sont comme les bébés, il faut utiliser des couleurs vives pour attirer leur attention. Et les stylos sont toujours si épais qu'ils nous tombent des mains ! Paternalisme insultant, à nouveau.

Ce sexisme ordinaire qui se généralise (de plus en plus de marques se lancent dans ce marketing genré, certaines ont même le culot de lancer leurs produits pour femmes lors de la journée internationale pour les droits des femmes) n'est pas inoffensif : il renforce des stéréotypes sexistes, il renvoie les femmes à la superficialité, il nous enferme dans des clichés paternalistes, il éduque les filles à une vision binaire du monde en leur apprenant que leur vie se résume au shopping, au dressing-room et à la cuisine.

Ce n'est pas tout : ces gammes sont également excluantes. Beaucoup de marques proposent des produits génériques et une gamme spécialement pour les femmes / les filles : c'est le cas des stylos bic, par exemple, ou encore des cartes bleues pour femme, de Lego, Playmobil ou Kinder Surprise. Pour ces marques (et pour nos sociétés en général), l'homme est l'universel, la femme le particulier. Une sorte de dérivé du mâle, qui constitue la normalité. C'est comme ça que les femmes, 50% de l'humanité, se retrouvent cataloguées parmi les « minorités ». C'est comme ça que les représentations de l'Humanité à travers les âges et les cultures montrent toujours des hommes en priorité, faisant des femmes une moitié invisible.

C'est une tendance dangereuse. Les femmes doivent reprendre la place qui est la leur : une moitié de l'humanité, à part égale avec les hommes.

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vendredi 3 août 2012

Harcèlement : la parole des femmes déliée, enfin !

 Si vous vous êtes connecté sur internet ces jours-ci, vous n'avez pas pu échapper à l'information : une étudiante belge, Sofie Peeter, a réalisé un document vidéo « Femme de la rue », dans lequel elle se filme marchant dans la rue dans son quartier de Bruxelles. A son passage, les insultes (chienne, salope) et les dragues lourdes et insistantes se multiplient : bref, le harcèlement machiste avec lequel toute femme (ou presque) est familière. J'en parlais récemment.

L'information a buzzé sur le net, et si certains sont immédiatement tombés dans le déni (c'est exagéré, ça n'existe pas en France, elles aiment ça, etc.), l'affaire a au moins eu le mérite de délier les langues. Sur Twitter, un hashtag #harcelementderue a permis aux femmes de témoigner sur leur propre harcèlement qu'elles subissent, et les témoignages se sont multipliés. Beaucoup d'hommes ont alors semblé tomber des nues et découvrir un phénomène qu'on connait depuis le tout début de l'adolescence.

C'est vrai que nous en parlons peu. Parce qu'on aurait trop de choses à raconter, sans doute. Parce qu'on n'a pas envie d'avoir à expliquer que ce n'est pas lié à nos vêtements ni à notre attitude, peut-être. Peut-être également, parce qu'il nous reste un vieux fond de culpabilité qui fait qu'à chaque fois que ça nous arrive, on a le réflexe de se demander ce qu'on a fait de mal.
Cette vidéo est libératrice. Quand on voit ce harcèlement arriver à une autre femme, on se sent solidaire ; on sait qu'elle n'a rien fait de mal et qu'elle n'a pas provoqué ce harcèlement et par miroir, on sait que ce n'est non plus jamais de notre faute. Et on ose parler, sans honte, sans culpabilité, libres.

Quelles pourraient être les retombées de cette vidéo ?
Là est la question qui se pose, parce que libérer notre parole est une première chose, mais c'est insuffisant. Il faut pouvoir arracher le droit de marcher dans la rue en sécurité, sans se faire insulter.
Le maire de Bruxelles évoque une loi punissant le harcèlement de rue d'une amende. Soit. Les insultes et le racisme sont déjà punis, punir le harcèlement sexiste s'inscrit dans la même lignée et ça devrait être le cas depuis longtemps déjà.
Ce qui me gêne, c'est que le débat semble s'arrêter là. Comment ne pas comprendre, en voyant à quel point le problème est courant et général, qu'il ne s'agit pas là de l'incivilité d'individus à punir au cas par cas, mais bien d'une réel problème d'éducation et de société ? Comment ne pas comprendre qu'il faut maintenant réfléchir à la manière d'éduquer au respect des femmes ? A leur droit d'occuper l'espace public, partout, n'importe quand, et quels que soient leurs vêtements ?

Depuis la sortie de cette vidéo, et notamment grâce à l'expression « harcèlement de rue », je me suis mise à réfléchir à ce que j'ai moi-même subi depuis mes onze ans. Cette expression est effectivement bien trouvé.
Harcèlement, d'abord. Le terme permet de faire la différence entre les harceleurs et les dragueurs. Les dragueurs abordent gentiment et comprennent quand on leur dit non. Les harceleurs abordent de manière directe voire insultante et insistent, alors qu'on a parfois déjà dit non trois ou quatre fois. Eventuellement, ils concluent d'une insulte. Et puis il y a évidemment ceux qui cherchent simplement à humilier ou intimider, ceux qui sifflent, ceux qui sont vulgaires, ceux qui commentent nos fesses ou nos seins et pire, ceux qui touchent.
De rue, ensuite. En faisant le bilan de mon histoire, j'ai réalisé que dans mon cas, le harcèlement avait lieu environ 95% du temps dans la rue, 5% du temps dans le métro. Plus intéressant encore, je me suis rappelée que lorsque j'étais adolescente, des garçons qui étaient au même collège que moi pouvaient me harceler dans la rue, mais jamais dans l'enceinte du collège. (Et ce n'était pas une question de présence d'adultes : ces mêmes garçons fumaient en cachette dans la cour, ils n'auraient eu aucun mal à harceler une jeune fille). Le harcèlement est bien de rue puisque c'est toujours dans le cadre des lieux publics extérieurs ou de transit (transports en commun) qu'il se produit. Et il vise à faire peur et à humilier.

Il y a bien, pour les harceleurs, une conception de l'espace public comme masculin. A leurs yeux, toute femme qui s'y aventure le fait à ses risques et périls : les règles du jeu sont celles de ces messieurs. La seule solution pour y échapper, c'est de succomber au patriarcat et de se faire accompagner d'un homme (auquel cas le harcèlement est bien moins fréquent voire nul, l'homme légitimant notre présence) ou de rester chez soi. Dans la sphère domestique.

A présent que la langue des femmes s'est déliée et que le phénomène commence à être connu et reconnu, il est donc important de ne pas se contenter du répressif et de réfléchir à comment attaquer le problème à la racine : éduquer au respect des femmes et au partage de l'espace public.

vendredi 6 juillet 2012

Not for sale !

Ce film "pas à vendre" de Marie Vermeiren donne la parole à des survivantes de la prostitution. Des femmes qui, comme le dit l'une d'entre elles, ont aussi dit à un moment de leur parcours "C'est mon choix, j'ai décidé de faire ça". Des femmes que la prositution a brisées, et qui rappellent que lutter contre la prostitution, c'est lutter pour les personnes prostituées, comme je l'ai déjà expliqué dans mon article précédent : un métier comme un autre ?

A voir !


vendredi 29 juin 2012

Un métier comme un autre ?


Le sujet fait beaucoup de bruit depuis une semaine : Najat Vallaud-Belkacem, la Ministre des Droits des Femmes, veut tendre vers l'abolition de la prostitution. Dans un entretien au Journal du Dimanche, elle déclare :
« Mon objectif, comme celui du PS, c’est de voir la prostitution disparaître. Je ne suis pas naïve, je sais que ce sera un chantier de long terme. Cette position abolitionniste est le fruit d’une réflexion tirant les leçons des insuffisances des dispositifs actuels. Dans cette optique, le Parlement a adopté l’an dernier une résolution qui préconise la pénalisation des clients. Tous les partis l’ont votée. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et moi-même ne resterons pas inactifs sur cette question. Sans aucun jugement moral, il s’agit de protéger l’immense majorité des prostituées, qui sont d’abord des victimes de violences de la part des réseaux, des proxénètes. »

La question fait polémique, évidemment. Parmi ceux qui sont contre l'abolition de la prostitution, on entend toujours les mêmes arguments : « dans les pays où la prositution a été légalisée, tout se passe bien ». « Les clients sont des hommes comme tout le monde ; ils ont une frustration sexuelle qu'ils ont le droit de soulager. On ne va pas envoyer en prison un pauvre type qui veut juste s'envoyer en l'air ». « C'est un choix, c'est un métier comme un autre ; on doit pouvoir disposer de son corps comme on veut. L'Etat n'a pas à s'immiscer dans une relation entre deux adultes consentants, même tarifée »...

Que penser de tout ça ?

« Dans les pays où la prositution a été légalisée, tout se passe bien »

Aux Pays-Bas, la prostitution a été légalisée en 2000. A Amsterdam, les filles se vendent en sous-vêtements derrière des vitrines rouges dans des rues que les touristes arpentent en trouvant ça, peut-être, « pittoresque » ou amusant.
Peut-être qu'ils ne savent pas que, d'après les propres enquêtes des instituts d'analyses aux Pays-Bas, entre 50 et 90% de ces femmes n'ont pas choisi de se prostituer mais sont tombées sous la coupe d'un mac. Peut-être qu'ils ne savent pas que seules environ 10% ont pris le statut de prostituée légale, et que 98% voudraient changer de vie. Peut-être qu'ils ne savent pas que leur statut de femmes en vitrine ne les protège ni de la violence des clients, ni de la violence des macs.

Tout se passe bien dans les pays où la prostitution a été légalisée ? Non. Les prostituées ne sont pas plus protégées qu'avant. Par contre, dans ces pays, les programmes d'aide à la sortie de la prostitution disparaissent petit à petit. En effet, quel Etat financerait des programmes pour sortir d'une profession « normale » ? Aux Pays-Bas, l'agence pour l'emploi a sommé une hôtesse de l'air de se présenter dans une maison close, parce qu'il était temps qu'elle se remette à travailler. Apparemment, l'agence pour l'emploi estimait qu'après avoir servi des verres et des repas à des clients-passagers, elle pouvait tout aussi bien se mettre à tailler des pipes à des clients-prostitueurs. Un métier comme un autre !
Pour couronner le tout, la légalisation de la prostitution met en danger toutes les femmes en présentant leur corps comme un bien qu'on peut acheter ou « louer ».

« Les clients sont des hommes comme tout le monde »

Effectivement. Ce sont des frères, des maris, des pères.
Mais ce sont des hommes qui achètent des femmes.
En France, environ 90% des prostituées le sont de manière forcée : elles sont victimes de la traite des femmes, tombées sous la coupe d'un mac ; elles n'ont plus d'autre moyen de subsistance ; elles ont été victimes, jeunes, de violences sexuelles ; elles sont étrangères, perdues dans un pays qu'elles ne connaissent pas, et leurs papiers ont été confisqués...
En France, ce sont également 95% des prostituées qui veulent changer de vie.

Ces faits sont un secret de polichinelle. Tout le monde – y compris les clients – sait qu'une grande partie des prostituées s'est retrouvée forcée, d'une manière ou d'une autre, à faire le trottoir. Participer au système prostitueur en achetant des femmes, c'est alimenter ce système ; c'est risquer d'acheter une relation sexuelle à une femme – ou une fille – non consentante. C'est inacceptable.
Ces hommes vivent peut-être une situation de misère sexuelle, et je nie pas qu'ils peuvent souffrir. Mais comment peut-on imaginer faire passer leur souffrance avant celle de ces filles et de ces femmes qui, majoritairement, n'ont pas choisi de se prostituer et se retrouvent violées et violentées à longueur de journée ?

Les clients-prostitueurs ont un immense avantage sur les prostituées : ils choisissent. Ils décident. Ils sont libres de ce qu'ils font. Par conséquent, ils portent la responsabilité de ce système violent et destructeur.
Pénaliser les prostituées n'est pas une solution ; elles sont les victimes. Pénaliser les clients signifie en revanche envoyer un signal fort rappelant qu'acheter une relation sexuelle, c'est faire violence à une femme qui n'a sans doute pas choisi d'être là... et à travers elle, faire violence à toutes les femmes. C'est la seule solution pour enrayer la prostitution.

Quant à leur frustration sexuelle, à l'époque d'internet, on ne compte plus les sites de rencontre basés sur les plans d'un soir. Là ou dans des clubs échangistes, les clients devraient trouver des femmes qui ne sont pas exploitées.

« On ne peut pas légiférer sur des relations entre deux adultes consentants ».

Les relations client-prostituée n'ont rien de relations entre deux adultes consentants. A supposer déjà que la prostituée soit adulte, son consentement est plus que discutable. J'ai déjà abordé la question du choix – ou plutôt de l'absence de choix. Mais ce n'est pas tout. Les prostituées commencent, en moyenne, à l'âge de 14 ans. Si vous connaissez des filles de 12-15 ans (fille, sœur, nièce...), essayez de les imaginer choisir la prostitution : leur choix vous paraitrait-il libre et éclairé ? En outre, beaucoup de prostituées ont été victimes d'abus sexuels pendant leur enfance.
Comment parler de relations entre deux adultes consentants dans ces circonstances ?

« C'est un métier comme un autre ».

C'est bien là la question la plus épineuse sur la prostitution. A moins d'être sévèrement misogyne, personne ne peut défendre le système prostitueur actuel et l'exploitation de la misère des femmes. Mais quid d'une prostitution légale, encadrée, protégeant les femmes et leur laissant le choix ?

La prostitution n'est pas un métier comme un autre. Les prostituées ont un taux de mortalité 20 fois plus important que le reste de la population. 93% d'entre elles sont battues par leurs clients, et ce chiffre n'aborde même pas la violence de leurs macs. Elles ont un taux de suicide supérieur à la moyenne.
Ce n'est pas un métier. C'est une violence faite aux femmes.

Certains parleront du droit de chacun à disposer de son corps : le corps des prostituées leur appartient, elles sont libres d'en faire ce qu'elles veulent et de travailler dans les conditions qu'elles choisissent. C'est amusant, il n'y a que pour les prostituées que ce libéralisme est défendu bec et ongles : pourquoi, en effet, est-ce que nous nous protégeons derrière un droit du travail si nous considérons que chacun peut disposer de son corps et de son temps comme il veut ? Revenons au lancer de nain, laissons les employeurs proposer des contrats de travail de 100 heures par semaine : libre à chacun de l'accepter ou non !
Tout n'est pas acceptable. La société ne peut pas accepter des conditions de travail dangereuses et dégradantes – et promouvant une vision malsaine et masculiniste des relations entre les hommes et les femmes – sous le seul prétexte d'un « droit à disposer de son corps ».

Amusant d'ailleurs, comme les défenseurs du droit à la prostitution envisagent rarement cette profession pour eux-mêmes ou pour leurs proches !

dimanche 3 juin 2012

The body is not an apology

Aujourd'hui, juste un slam que j'ai beaucoup apprécié et dont je pense que beaucoup d'entre nous (femmes ou hommes) devraient s'inspirer :



The body is not an apology. Let it not be forget-me-not fixed to mattress when night threatens to leave the room empty as the belly of a crow.
The body is not an apology. Do not present it as a dissembled rifle when he has yet to prove himself more than common intruder.
The body is not an apology. Let it not be common as oil, ash, or toil. Let it not be small as gravel stains or teeth. Let it not be mountain when it is sand, let it not be ocean when it is grass.
Let it not be shakened, flattened, or raised in contrition.
The body is not an apology. Do not give the body as communion, confession. Do not ask it to be pardoned as criminal. The body is not a crime; is not a gun; is not a lost set of keys or wrong number dialed. It is not the orange burst of blood to shame white dresses.
The body is not an apology. It is not the unintended granule of bone beneath willed body. It's not kill, it's not unkempt car, it is not a forgotten appointment.

Do not speak it vulgar, the body is not soiled, it is not filth to be forgiven, the body is not an apology.
It is not a father's backhand; it's not mother dinner late again. Wrecked jaw howl, it is not the drunken sorcery of contorting steel around tree. The body is not calamity, the body is not a math test, the body is not the wrong answer, the body is not a failed class.
You are not failing. The body is not an apology.
The body is not a crime, it is not a gun. The body is not a crime. It is not sentence to be served. Is not prison, is not pavement, is not prayer.
The body is not an apology. Do not offer the body as gift, only receive it as such. The body is not to be prayed for; it is to be prayed to.

So, for the evermore tortile tenth grade nose, Hallelujah. For the shower song throat that crackles like a grandfather's victrola, Hallelujah. For the spine that never healed. For the lambent heart that didn't either, Hallelujah. For the sloping pulp of back, hip, belly, Hosanna.
Errant hairs that rove the face like a pack of ? wolves. Hosanna, for the parts we have endeavored to excise. Blessed be the cancer, the palsy, the womb that opens like a trapdoor. Praise the body in its black jack magic, even in this. For the razor wire mouth. For the sweet God ribbon within it. Praise for the mistake that never was. Praise. For the bend, twist, fall, and rise again. Fall and rise again.
For the raising like an obstinate Christ. Praise the body that bends like a baptismal bowl. For those who will worship at the lip of this sanctuary. Praise the body for body is not an apology. The body is Deity. The body is God. The body is God; the only righteous love that will never need repent.

vendredi 25 mai 2012

Dark shadows ou l'éternel féminin


J'ai lu récemment sur une chronique cinéma, à propos du dernier film de Tim Burton, Dark Shadows, dans lequel un vampire du XVIIIème siècle maudit par une sorcière amoureuse se réveille deux siècles plus tard et cherche à se venger : « Tim Burton est un cinéaste féministe, la preuve, dans Dark Shadows, les personnages intéressants sont encore des femmes ! »

Ah. Le héros est pourtant bel et bien un homme, mais les personnages qui gravitent autour de lui sont globalement plus féminins que masculins, donc admettons.
Il suffirait de parler de femmes pour être féministe ? Il suffirait de présenter des personnages féminins ?

Evidemment non. Si je réalise une chronique sur les vertues d'une bonne gifle de temps en temps en prenant le point de vue de femmes qui accepteraient la violence de leur compagnon, je ne ferai pas une production féministe. Ce n'est pas d'avoir des personnages féminins qui importe, c'est le message qu'elles véhiculent.
Dans le cas de Dark Shadows, voyons donc ces différents personnages féminins...

D'abord, la sorcière. Celle qui, amante et amoureuse éconduite (elle qui n'est qu'une servante dont son maître profite avant de la jeter pour son « vrai amour »), maudit son ancien amant et le condamne à devenir un monstre.

Suffirait-il de présenter des femmes puissantes et dangereuses pour être féministe ? Dans ce cas, l'époque moderne était une époque sacrément féministe, avec toutes les sorcières qu'elle a brûlées ! Non, de tous temps, les hommes, incapables de comprendre les mystères de la maternité, ont prêté aux femmes des pouvoirs magiques ; particulièrement aux femmes qui échappaient à la domination masculine, les « vieilles filles ». Il n'y a qu'à se souvenir des contes pour enfants : pas de sorcier chez Blanche-Neige ou dans la Belle au Bois dormant, mais toujours des sorcières, des femmes seules, vieilles, aigries et souvent jalouses.

La sorcière de Tim Burton, après avoir été rejetée par son amant, passe deux cents ans dans la haine et la vengeance, avec pour seul objectif de détruire la famille et les réalisations de celui qui l'a blessée.
Pas de féminisme chez ce personnage : c'est une femme aigrie et jalouse qui se venge par les moyens qu'on a toujours prêtés aux femmes : le mal, les sortilèges, la fourberie, les alliances avec les forces des ténèbres. C'est un personnage des plus classiques.

Passons à présent sur la dite famille du héros. Une mère, une fille, une psychologue pour venir en aide à un neveu traumatisé. La mère montre du courage et de la détermination, mais il est clair qu'elle n'a pu empêcher la ruine de l'entreprise et du manoir familiaux, qui ne peuvent se redresser que lorsque le héros – un homme – vient reprendre les choses en main. Sa fille est – à peu de choses près – une adolescente tout ce qu'il y a de plus typique, qui traîne les pieds, s'enferme dans sa chambre, et joue à l'occasion à être insolente. Elle n'a d'ailleurs qu'un rôle mineur, tout comme la psychologue.

Enfin, le « vrai amour » du héros. La jeune fille douce, innocente et naïve. Tout au long du film, on apprendra très peu de choses sur Victoria, la jeune gouvernante, sur son passé comme sur son caractère. Elle est en fait l'exacte opposée d'Angelique, la sorcière : l'une est mûre, a déjà vécu deux cents ans et est plutôt du genre femme fatale ; l'autre est fraîche, jeune, inexpérimentée et d'une « beauté qui s'ignore ». L'une est dure, puissante et il faut s'en protéger ; l'autre est douce, docile et doit être protégée. L'une incarne le stéréotype de la femme jalouse et dangereuse, l'autre le cliché de l'éternel féminin.

Il faut à tout prix se méfier de la femme indépendante. Le héros ne tombera pas amoureux de la puissante mais maléfique Angelique (lui-même étant un vampire, il égorge régulièrement des bandes d'ouvriers ou de jeunes mais contrairement à la sorcière, il reste dans le camp des gentils) ; il lui préfèrera la jeune fille innocente et à peine sortie de l'adolescence, pour qui il aura le coup de foudre dès le premier regard ; c'est dire si le caractère ou l'esprit de Victoria ont la moindre importance.
Non, le personnage de Victoria est loin de marquer par sa profondeur et ne donne certainement pas au film un aspect féministe.

Alors quoi, Dark Shadows, film sexiste ? Non. C'est un film agréable dans lequel il ne faut pas essayer de voir plus que ce qu'il offre : une démonstration de talent, une succession de scènes magnifiquement bien tournées et mises en scène, un scénario prétexte au burlesque et à une gentille épouvante, une poésie (surtout visuelle) caractéristique de Tim Burton et de bons acteurs qui se font visiblement plaisir. Mais ce n'est certainement pas un film féministe.

vendredi 11 mai 2012

Hollaback !


Récemment, j'ai découvert le mouvement Hollaback! qui invite chacun-e à témoigner du harcèlement dans l'espace public. Partout dans le monde (en France, en Argentine, en Belgique, au Canada, au Chili, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud...), des sites recueillent et localisent des témoignages, très majoritairement de femmes qui se sont fait harceler dans la rue.

L'idée est de permettre aux victimes de harcèlement (principalement les femmes et les membres de la communauté LGBTQ) de trouver du soutien mais également de sensibiliser le plus grand nombre de ce phénomène. Egalement intéressant, le site dénonce des mythes et des idées reçues, notamment sur le plaisir secret des femmes qui se font harceler dans la rue ou encore leur tenue vestimentaire. Enfin, il donne des conseils pour réagir au harcèlement – le sien ou celui d'autres – et pour lutter contre la « participation des spectateurs »

Le harcèlement des filles et des femmes dans la rue est un phénomène tellement courant qu'il m'a fallu longtemps avant de réaliser que ce n'était pas normal et que je n'avais pas à accepter ça. Ca peut commencer quand on a dix ou onze ans et prendre des formes très diverses : des sifflets, des insultes, des regards insistants, des commentaires (positifs ou non, ce n'est même pas la question) sur ses fesses, ses seins, ses cuisses... et puis plus grave, des commentaires salaces, des gestes déplacés, de l'exhibitionnisme, voire des comportements inquiétants (certains suivent la personne qu'ils harcèlent, essaient de la prendre dans leurs bras, de l'embrasser...). Et une fois que ça a commencé, on en a pour des dizaines d'années à se sentir une intruse dans l'espace public. Et on se résigne à se dire que certains hommes sont comme ça et qu'il faut accepter cette situation.

Je ne suis pas d'accord. Quand j'ai découvert ce site, ma première réaction a été : « Bonne initiative, je vais témoigner, moi aussi ! »
Et puis j'ai eu un moment de perplexité.
D'accord, mais qu'est-ce que je raconte ? La fois où un homme s'est exhibé devant moi quand j'avais onze ans, ou celui qui l'a fait à côté de moi dans le métro ? L'homme qui travaillait sur mon trajet de la maison au lycée et qui me harcelait tellement que j'ai du faire un détour pendant six mois ? Les fois où j'aurais voulu être invisible ou discrète comme une souris en passant devant des chantiers ? L'homme qui m'a suivie jusqu'à chez moi discrètement ? Les trois qui ont essayé, après cinq minutes à discuter, de me prendre dans leurs bras et de m'embrasser ? Les dizaines de mecs qui m'ont traitée de pute ou de salope ou m'ont fait subir des remarques toutes plus vulgaires les unes que les autres ? Les jugements sur mes fesses, mes seins, mes hanches, ma taille... ?

On a toutes des histoires comme ça. Les espaces publics, la rue, la nuit appartiennent toujours aux hommes et quand on se risque à envahir un univers qui n'est pas le nôtre, on doit accepter de subir ce harcèlement constant, humiliant et parfois même effrayant. Ca suffit !

Des initiatives comme Hollaback! ne changeront peut-être pas la face du monde ; mais chaque fille, chaque femme qui découvrira en lisant ces témoignages qu'elle n'est pas seule et que ce harcèlement n'a rien de normal ni d'acceptable, chaque passant qui interviendra dans ce genre de situation pour protéger la victime, chaque personne qui réalisera que son comportement dépasse les bornes sera une petite victoire.

Et la prochaine fois qu'on assiste à du harcèlement dans la rue, à nos réactions ! 

vendredi 4 mai 2012

Pourquoi haïssez-vous notre corps ?


Pourquoi est-ce que vous haïssez le corps des femmes ?
Pourquoi est-ce que vous haïssez votre propre corps ?
Pourquoi est-ce que vous apprenez à vos filles à haïr leur corps ?

Voilà les questions qui me travaillent ces temps-ci. On pourrait croire que dans notre société, qui affiche des corps de femmes partout dans les médias, les séries, les films, la publicité, la photo... honore et admire ce corps féminin.
Je vous le dis : c'est faux.

Elle le hait, ce corps ; elle traque ses moindres imperfections, elle le torture, elle le modèle pour qu'il ne se ressemble plus et qu'il atteigne une perfection qu'elle a arbitrairement choisie. Aujourd'hui, le corps féminin doit être fin mais avec des rondeurs aux fesses et aux seins ; le ventre doit être plat ; les seins doivent être hauts ; la peau doit être lisse, sans peau d'orange ni cellulite ; elle doit être intégralement épilée. Bref, le corps d'une femme ne doit surtout pas ressembler... au corps d'une femme. On attend des femmes aujourd'hui qu'elles ressemblent à des fillettes !
Et la perfection étant par nature inatteignable, le corps des femmes est voué à n'être qu'un échec dont on souligne les imperfections ; les femmes sont condamnées à considérer, à travers le regard de la société, leur corps comme éternellement imparfait. Et, bien sûr, périssable, comme nous l'avons vu précédemment (« C'est un fait, les femmes vieillissent plus mal ! »).

Il est indéniable que le corps des femmes – ou plutôt une certaine vision du corps des femmes – est sous les projecteurs de la société. Corps presque nus pour vendre tout et n'importe quoi dans la publicité, héroïnes systématiquement jeunes et belles, photos retouchées pour amincir des hanches, gonfler des seins...
Dans les films et séries, 99% des femmes sont non seulement jeunes et belles, mais elles incarnent des personnages qui allient compétence et allure soignée, classe, apprêtée. Dans les séries policières, par exemple, les femmes de terrain, qui découvrent des scènes de crime dans les bois, qui procèdent à des arrestations musclées... sont toujours perchées sur talons aiguille. Bien entendu, je n'avais jamais pensé à l'utilité des escarpins pour marcher dans la boue ou courir après des criminels !

Le film We want sex equality qui présente la lutte des ouvrières de l'usine Ford à Dagenham (Angleterre) pour obtenir l'égalité des salaires au printemps 1968 ; c'est un film plein de bonne humeur qui présente une lutte saine, alliant femmes et hommes contre une injustice flagrante et révoltante. Mais les ouvrières du film sont toutes jeunes, belles, fraîches, fines aux jambes galbées ; elles portent des robes courtes, des minijupes, des décolletés plongeants, des escarpins (encore !) et vont clubber après le travail ! Le générique présente des photos d'époque des femmes qui ont réellement mené cette lutte à Dagenham en 1968. Laissez-moi vous dire qu'elles ne ressemblaient pas à leur représentation dans le film.
Alors quoi ? Il est impensable de montrer au cinéma ou à la télé des femmes qui ne sont plus jeunes et qui ont été marquées par le poids de leur vie, d'un travail dur et physique ? Inconcevable d'avoir des héroïnes qui n'ont pas le souhait ou pas le temps de passer des heures à se lisser les cheveux, se poudrer le visage, se farder les paupières ? Qui trouvent un pantalon et des baskets plus pratiques pour travailler que la mini-jupe et les escarpins ? Ces femmes courageuses ont risqué beaucoup pour une cause juste ; elles méritaient que le film censé leur rendre hommage mettent l'accent sur leur courage et ne juge pas leur apparence physique indigne du cinéma.

Bien pire que ces exemples, les exigences de perfection pour le corps féminin sont aujourd'hui de plus en plus précoces. On connait les histoires de talons hauts, soutien-gorge, strings ou centres de beauté pour fillettes, ou les concours de mini-miss. Ils font encore relativement scandale... mais ils existent. Et se développent.

Les exemples de cette surmédiatisation d'un corps féminin fantasmé (qui n'est même pas celui des femmes dont l'apparence est le métier, puisque même leurs photos sont retouchées) sont nombreux ; et les conséquences également. Les femmes portent aujourd'hui trois casquettes : pour arriver au même niveau professionnel que les hommes, elles doivent être deux fois plus compétentes. Chez elles, elles assument encore 80% des tâches ménagères et tout ce qui a trait au foyer et à l'enfance leur est bien entendu dévolu. Et comme si tout ça n'était déjà pas suffisant, tout ce qui les entoure leur rappelle qu'elles ne sont pas de vraies femmes tant que n'ont pas les yeux maquillés, les escarpins chaussés et le maillot épilé. C'est une pression qui peut être très lourde à porter. Qui conduit beaucoup de femmes à se juger au travers de ce que la société pense de leur corps... et à se haïr elles-mêmes.
Aujourd'hui, des hôpitaux voient arriver des fillettes de neuf ans anorexiques. A neuf ans, elles se sont trouvées trop grosses et ont décidé de faire un régime qui les a conduit à se mettre en danger. Les communautés « pro-ana » (pro-anorexie) se développent sur internet, avec astuces, conseils et culpabilisation à la clé. Les médias, les publicités, les séries, le cinéma et tous ceux qui font l'apologie d'un corps féminin sans défauts portent la responsabilité collective des risques que prennent ces filles.

Une mère qui avait inscrit sa fille à un concours de beauté expliquait que ça lui apprenait à avoir confiance en elle. Non, madame. Vous lui apprenez à juger sa propre valeur non seulement uniquement à l'aune de son physique mais aussi à travers le regard des autres ; vous lui apprenez à ne s'estimer que comparativement aux autres filles avec qui elle concourt ; vous lui apprenez, enfin, à traquer les moindres défauts et imperfections de son corps dans une quête perdue d'avance et qui pourrait même la conduire à se mettre en danger. Bref, vous lui apprenez à se haïr.

A lire sur le sujet :

vendredi 27 avril 2012

C'est un fait, les femmes vieillissent plus mal !


Un argument que j'entends régulièrement au sujet de la disparition du « mademoiselle » des formulaires administratifs (disparition qui n'a pas fini de faire parler les aigris), c'est : « Mais c'est flatteur de se faire appeler mademoiselle ! »
Et de continuer : mademoiselle, c'est la légèreté, c'est la fraicheur, c'est la jeunesse !

C'est amusant ; pour moi, c'est plutôt l'inverse. Quand un médecin que je vois pour la première fois, parce que je n'ai pas l'air d'avoir mes vingt-huit ans, m'inscrit d'office à « mademoiselle », m'appelle par mon prénom et me parle comme à une adolescente attardée, ça m'agace. Ca ne me flatte pas.

Et puis quoi, nous, les femmes, nous devrions avoir honte de vieillir ? Nous devrions cacher notre âge ?
Certes oui ! répond la société. Chez un homme, l'expérience est attirante. Chez une femme, c'est la jeunesse et « l'innocence ». D'ailleurs, « on ne demande pas son âge à une dame ».
Mademoiselle, c'est flatteur, parce qu'une femme se fane avec l'âge. Et puis, « c'est un fait » : les femmes vieillissent plus mal que les hommes !

Faites le test autour de vous : vous n'en reviendrez pas du nombre de personnes qui sont persuadés de cette idée et qui la présentent comme un fait. Peut-être en êtes vous vous-mêmes convaincus ; je l'ai été, moi-même, et j'ai même répété ces clichés et ces idées reçues.

La beauté est un concept subjectif. Les critères qui font qu'une femme ou un homme sont considérés belle ou beau sont très variables selon les cultures, selon les époques. Au Moyen-Âge, on valorisait les rondeurs, les formes enveloppés, les cheveux blonds, le teint très pâle. Aujourd'hui, le ventre des femmes se doit d'être plat et non arrondi, le teint hâlé et non clair. Et puis il y a la pure beauté plastique du corps, du visage, et le charme, encore plus subjectif. Ma grand-mère était une très belle jeune femme ; à bientôt quatre vingt-cinq ans, elle n'a certes plus le corps souple d'une jeune fille de dix-huit ans, mais elle est toujours très belle. La beauté, finalement, est dans les yeux de celui qui regarde.

Et qui a décidé, donc, que les femmes vieillissaient plus mal que les hommes ? La vieillesse blanchit les cheveux et ride la peau des hommes comme des femmes. Et si les seins et les hanches des femmes s'alourdissent avec l'âge, les hommes prennent du ventre et perdent leurs cheveux. En quoi est-ce plus désirable ? Trouvez-vous réellement que Robert, du bar PMU, avec sa ceinture de bière et son crâne dégarni, a mieux vieilli que Sharon Stone ou Madonna ?
Alors pourquoi juge-t-on avec plus d'indulgence l'âge d'un homme que l'âge d'une femme ?

J'y vois plusieurs raisons. Sur un homme, on juge en grande partie le charme. Et le charme ne se tarit pas avec l'âge, au contraire : les cheveux poivre et sel, le visage qui commence à se marquer, tout ça apporte la preuve que l'homme a vécu, qu'il a de l'expérience ; chez un homme, c'est séduisant. Georges Clooney n'a certainement plus le corps d'un jeune de dix-huit ans, lui non plus, mais il est resté très longtemps considéré comme l'homme le plus sexy de la planète. Et effectivement, il a beaucoup de charme.
Chez une femme, dans notre société, la beauté ne se limite pas au charme. Le corps a plus d'importance que chez un homme. On se doit d'être sexy, d'avoir des formes parfaites, le corps entièrement épilé... Les standards sont bien plus élevés que chez les hommes ; et bien sûr, ils résistent moins au temps. Et contrairement aux hommes, les marques des ans n'ajoutent pas au charme des femmes au regard de la société. D'une part, on attend des femmes qu'elles n'aient pas trop d'expérience (en termes de partenaires sexuels, par exemple). D'autre part, les femmes sont toujours très liées à leur fonction reproductrice, à leur rôle consistant à porter les enfants ; la féminité – de même que la virilité – est encore largement liée à la capacité à procréer. Et c'est une capacité qui disparait avec l'âge.

Une femme qui vieillit et qui ne peut plus avoir d'enfants, ça dérange, ça inquiète – d'autant plus quand c'est une femme qui n'a jamais eu d'enfants. On ne sait plus bien où la classer ; c'est un être hybride : certainement pas un homme, mais pas non plus tout à fait une femme.

Nous considérons que les hommes « vieillissent mieux » que les femmes, parce que nous avons été habitués à voir le monde d'une certaine façon. Nous sommes habitués à considérer que les hommes doivent être mûrs tandis que les femmes doivent être fraîches, qu'elles sont liées à leur fonction de reproduction, qu'elles doivent être parfaites des pieds jusqu'à la tête et n'avoir aucun des défauts qu'on pardonne aux hommes. En fait, nous considérons que les hommes vieillissent mieux que les femmes parce que, tous autant que nous sommes, nous sommes habitués à voir le monde par les yeux d'un homme.

En ce qui me concerne, j'ai l'audace de penser que je suis autre chose qu'un utérus et que je suis également plus que les lignes de mon corps. Je suis ce corps, évidemment ; mais je suis également toutes mes qualités et tous mes défauts, je suis tout ce que j'ai vu et vécu, y compris ce que j'aurais préféré ne pas vivre et voir. Mes expériences me forgent et me façonnent et je compte bien ne jamais en avoir honte et ne jamais cacher mon âge.

Et s'il y a bien une chose qui ne me flatte pas, c'est qu'à vingt-huit on me traite comme si j'en avais seize !

lundi 23 avril 2012

IVG de confort et autres absurdités

Dans le contexte des élections présidentielles qui arrivent, on entend énormément de choses sur l'avortement : en dehors de propositions de le dérembourser, certains parlent d'avortement de confort, estiment qu'il y a trop d'IVG, que c'est traumatisant ou arguent qu'il faut « défendre la vie » (celle de l'embryon, jamais celle de la mère). Ceux-là disent qu'il faut « accompagner » les femmes qui avortent, qu'il faut écouter leur souffrance. Tout en les obligeant à garder ce bébé dont elles ne veulent pas.
J'ai également lu l'appel d'une femme de 32 ans qui ne parvient pas à trouver de chirurgien acceptant sa demande de se faire stériliser, et les commentaires la qualifiant d'égoïste, égocentrique, et bien pire.

Le corps des femmes, la maternité ou le refus de devenir mère n'en ont pas fini de faire couler de l'encre, de faire parler ceux qui ne sont pas concernés... et d'échapper aux femmes. Refuser la stérilisation aux femmes qui la choisissent, proposer de dérembourser l'IVG (et donc en nier l'accès à celles qui n'en ont pas les moyens), c'est vouloir les déposséder de leur corps.

C'est nier ce que peut représenter une grossesse pour une femme, à plus forte raison une grossesse non désirée. Sans même aborder les conséquences de la naissance d'un enfant (qui sont évidentes, qu'on l'abandonne ou qu'on le garde), une grossesse n'est pas un acte anodin. Du fait des progrès de la médecine, on le minimise aujourd'hui, on en nie les risques et les conséquences possibles. « Ce n'est pas une maladie! ». Non. Et effectivement, la plupart du temps, les choses se passent bien. Mais pas toujours.
« Comment est-ce qu'elles faisaient, les femmes, avant ? ». Elles mouraient en couches.

La grossesse peut être un beau moment ; la femme enceinte peut être radieuse et épanouie, bien sûr. Et on veut nous faire croire que ça se passe toujours de cette façon, que nous pouvons toutes vivre ces grossesses épanouies. Mais c'est faux : toutes les grossesses ne se déroulent pas bien, toutes les grossesses ne sont pas sans risques. Aujourd'hui, des femmes meurent encore en couche. Des grossesses peuvent avoir des conséquences lourdes : sciatique, diabète, osthéoporose... Psychologiquement, ce n'est pas non plus anodin. Des femmes, après avoir eu un enfant qu'elles désiraient et qu'elles aiment, préfèrent ne pas allaiter parce qu'elles sentent de le besoin de se « réapproprier leur corps ».

La grossesse est un sacrifice. Beau s'il est fait avec amour, tragique s'il est imposé. C'est pour ça que la femme doit être la seule à prendre cette décision, et que personne ne doit pouvoir leur imposer.

Non seulement c'est inique, mais en plus vouloir déposséder les femmes de leur droit à contrôler leur corps, c'est multiplier les tragédies. On en connait les conséquences ; l'Histoire nous les apprend. Qu'on pense à toutes ces femmes qui sont mortes en couches. A toutes celles qui ont eu quinze, seize enfants et qui ont vécu dans l'esclavage d'une grossesse quasi-permanente. A celles qui étaient tellement désespérées qu'elles faisaient appel aux « faiseuses d'anges », aux aiguilles à tricoter. Ou qu'elles se jetaient dans les escaliers, préférant risquer leur propre vie plutôt que de se soumettre à cette servitude. Ces femmes de tous les peuples, de tous les pays, mariées ou non, jeunes ou non, parfois victimes de viol ou à peine remises de l'accouchement précédent... ces femmes épuisées, effrayées, qui devaient se terrer dans l'ombre et prendre des risques pour essayer de se libérer...

Comment peut-on vouloir en revenir là ? Comment peut-on prétendre défendre la vie quand on défend l'embryon au détriment de la mère ?
Les femmes ont toujours avorté, et elles avorteront toujours. Aucun « accompagnement » dans un sacrifice qu'on leur impose ne pourra les sauver ; la seule chose qu'il peut les sauver, c'est de ne pas porter une vie qu'elles refusent. Il reste deux choix : leur permettre de faire ce choix dans des conditions dignes, ou les obliger à risquer leur vie. Et bien entendu, permettre à celles qui ne voudront jamais d'enfants de se faire stériliser, comme elles en ont le droit.

jeudi 5 avril 2012

Martine et Sarkozy

En ce contexte d'élections importantes en France (les présidentielles suivies des législatives), je suis forcée de relever une tendance qui m'agresse les oreilles à chaque discussion politique et fréquemment à la lecture d'articles.

Il est indéniable qu'en France, la sphère politique reste majoritairement masculine. Depuis que j'ai commencé à m'intéresser à la politique – à l'adolescence, pendant l'élection présidentielle de 1995 – jusqu'à nos jours, les gouvernements, ministères, l'assemblée, les interventions, les discours, les débats... sont majoritairement présidés par des hommes d'âge mûr en costume sérieux et soigné. Les femmes qui se fraient un passage dans cet univers à la force du poignet font figure d'exception, non de représentation du sexe féminin.
Si elles ont réussi à se hisser à ce niveau, c'est qu'elles sont autant, si ce n'est plus, compétentes que leurs homologues masculins. Et pourtant, elles ne jouissent pas de la même représentation auprès des médias ou après du public ; leur qualité de femme les place dans une catégorie à part, qui se manifeste de deux façons principales : la manière dont on parle d'elles, et l'importance accordée à leur physique et surtout à leur allure.

Aujourd'hui, c'est cette première différence qui m'intéresse. La façon dont, par le langage, on marque une frontière entre les hommes et les femmes politiques ; la façon dont on les nomme.
Sur la scène politique se sont succédés des Chirac, Jospin, Sarkozy, Mélenchon, Hollande, Besancenot, Hortefeux, Copé, etc. Mais également des femmes : Ségolène, Marine, Martine, Arlette, Rachida, Edith...
Avez-vous déjà remarqué cette tendance ? Avez-vous noté que, sans que – bien entendu – ce soit systématique, si on nomme toujours les hommes politiques par leur nom de famille, on utilise facilement le prénom pour les femmes ? Même celles qu'on nomme par leur nom, il est rare qu'on n'utilise pas également leur prénom : Rama Yade, Christine Boutin, Nathalie Artaud.
La parodie du « J'accuse » d'Emile Zola (qui doit se retourner dans sa tombe) par Frederic Lefebvre à l'occasion de l'affaire Woerth est un parfait exemple de cette tendance. Dans son texte, les hommes politiques, quel que soit leur parti, sont désignés par leur nom de famille ; toutes les femmes par leur prénom. La seule qui a le droit à son nom de famille, c'est Marine Le Pen... Mais « Frédéric » a bien pris soin de mettre ce nom entre parenthèses ! Ah, je pourrais disserter pendant des heures sur cette lamentable utilisation des parenthèses...

Ce qui est fascinant, c'est de constater que ces prénoms sont utilisés dans deux cas de figure : par les militants, et par les détracteurs. L'utilisation par les détracteurs tend évidemment à diminuer la femme politique en la maintenant dans une minorité symbolisée par le prénom : ce sont les enfants qu'on appelle par leur prénom. Appeler les femmes politiques par leur prénom, c'est les infantiliser, c'est leur nier la maturité et les compétences suffisantes pour gouverner.
Dans l'autre cas de figure, l'utilisation du prénom crée une proximité factice avec la femme politique qu'on soutient. Ce qui est intéressant, c'est qu'on n'utilise pas – ou très peu – ce procédé avec les hommes politiques : la sphère de l'intime, du relationnel, de la proximité est réservée aux femmes. Quel que soit le niveau de pouvoir que ces femmes aient atteint.

Dans les deux cas, l'utilisation du prénom marque une séparation nette entre les femmes et les hommes politiques et différencie la façon dont on les considère. Consciemment ou non : j'ai souvent entendu des féministes utiliser ce prénom pour parler de femmes politiques, sans y prendre garde.
Les mots ont une importance, les mots ont un sens, comme je l'ai déjà soutenu lors de la campagne « Mademoiselle : la case en trop ». Même – surtout – ceux qu'on utilise inconsciemment, par habitude. Alors faisons attention aux mots qu'on utilise ; accordons le même respect, le même traitement aux femmes et aux hommes politiques, en commençant par la façon dont on les nomme.
Ce serait un premier pas vers un univers politique moins masculin ou, du moins, moins violent envers les femmes qui s'y risquent.

mercredi 28 mars 2012

8 mars 2012 : un grand cru !

 
Enfonçons une porte béante : la télévision (que ce soit à travers les émissions ou la publicité) est un univers éminement sexiste. L'émission Le Grand journal ne fait pas exception à la règle. Parmi les présentateurs et chroniqueurs, deux figures féminines : une miss météo différente chaque année et dont le rôle consiste à être jolie, sexy et ingénue et une chroniqueuse qui est censée poser les questions « féminines », manquant généralement d'intérêt, de profondeur et de pertinence.

Le 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, Ariane Massenet a encore frappé. Elections présidentielles oblige, la première partie du Grand journal est consacrée aux candidats à la charge suprême. Au lieu d'inviter les candidates potentielles à la présidentielle (qui étaient nombreuses : Eva Joly, Marine Le Pen, Nathalie Artaud, Corinne Lepage), l'émission a préféré les seconds rôles : les porte-parole des deux candidats principaux, Najat Vallaud-Belkacem et Nathalie Kosciusko-Morizet. Soit.

Les chroniqueurs interrogent donc et confrontent ces deux femmes, qui font preuve de leur intelligence et de leur compétence, puis vient le tour d'Ariane Massenet : et là, c'est le drame !
Car la chroniqueuse s'est mise en tête pour « la journée de la femme » (comme si « la » femme, en tant qu'unité, existait ou avait le moindre sens) de poser à ces deux femmes des « questions de fille », pour essayer de déterminer « la part de féminité des deux candidats ».

S'ensuit alors une série de questions plus désespérantes les unes que les autres : sont-ils galants ? Ont-ils des doutes ? Là, on grince des dents. Seules les femmes ont des doutes ? Seules les femmes sont attentionnées ?
On n'est pas au bout de nos peines, pourtant. Questions suivantes : est-ce qu'ils font attention à leur ligne ? Est-ce qu'ils se font des colorations ? Là, les deux porte-parole commencent à protester. Kosciusko-Morizet : « Je ne sais pas, et ça ne m'intéresse pas. » Vallaud-Belkacem : « Ce n'est pas compris dans la fiche de poste de porte-parole. »
Ariane Massenet continue sans se laisser émouvoir, sans peut-être réaliser le cynisme qu'il y a à se servir de la journée pour les droits des femmes pour renvoyer deux femmes intelligentes à la sphère domestique. Elle poursuit. Est-ce qu'ils vont souvent chez le coiffeur ? Est-ce qu'ils boivent du coca light, du coca zéro ?
Là, Kosciusko-Morizet n'y tient plus : « Non mais, je parle pour nous deux là, on a un cerveau vous savez ». Et d'expliquer que ce serait plus intéressant d'aborder le programme de leurs candidats. Et pendant que Denisot, gêné, envoie rapidement le zapping, on entend Massenet qui se justifie : « Non mais c'était des questions de fille ! »

J'en viens à me demander ce qui est le plus consternant dans cette émission et dans ces questions. Inviter les seconds rôles féminins plutôt que les candidates ? Qualifier les deux porte-parole de « filles » (vous imaginez qualifier Hollande ou Sarkozy de « garçons » ?) ? Insulter l'intelligence de ses invitées en leur posant des questions ridicules, pour la seule raison qu'elles sont des femmes ? Considérer que le doute, le régime, l'attention à son physique sont non seulement des questions féminines mais qu'elles doivent en plus intéresser toutes les femmes ? Ou faire un pied de nez à la journée internationale pour les droites des femmes en renvoyant deux femmes qui ont réussi à la superficialité des clichés féminins ?
Le tout ensemble, sans doute.

Je dis toujours que, quelles que soient les polémiques autour de la pertinence de la journée du 8 mars, elle permet au moins une chose : elle déchaîne la mysoginie des uns et des autres, nous rappelle qu'il y a du pain sur la planche et nous montre où se niche le sexisme ordinaire.
Il est là, le sexisme ordinaire. Chez les chroniqueuses qui enferment les femmes dans un « éternel féminin » de douceur, de fragilité et de superficialité. Chez les grands quotidiens qui proposent aux femmes de gagner des « heures de ménage ». Chez ces émissions qui n'ont cessé de marteler, ce 8 mars, que le meilleur ami des femmes, en ce qui concerne les tâches ménagères, c'est l'électro-ménager (en 2012, visiblement, on ne peut toujours pas parler à voix haute de « répartition des tâches » ; ça doit être vulgaire). Chez tous ceux qui se lamentent de la mort programmée du « mademoiselle » sur les documents administratifs, parce que mademoiselle, « c'est joli, c'est la légèreté, c'est flatteur pour une femme qui vieillit » (car nous sommes tenues de nous apprécier par le regard des hommes, et d'avoir honte de vieillir s'il vous plait). Et j'en passe.

Grâce à Mme Massenet et aux autres, le 8 mars 2012 a encore été un grand cru. La route est longue... ne reste qu'à la parcourir et aller de l'avant !

vendredi 9 mars 2012

La solution de facilité

Au fil de discussions numériques ou physiques sur le féminisme où je me heurte régulièrement à des murs d'incompréhension ou à un rejet épidermique, je me pose souvent la question : pourquoi ? Qu'est-ce qui, dans cette quête d'égalité entre les sexes, parait si terrifiant à ces femmes et à ces hommes ?
La question me laisse d'autant plus perplexe quand ce sont les femmes qui sont réticentes (et elles sont nombreuses), mais les hommes aussi ont tout à gagner à l'égalité. Alors pourquoi ce rejet et pourquoi ces craintes ?

Les explications sont certainement nombreuses : idéalisation du passé, défense d'une position avantageuse (pour les hommes, parfois également - mais plus rarement - pour les femmes), réelle croyance en un modèle déséquilibré dicté par des différences "naturelles"... Ce billet ne se veut pas exhaustif ; parmi ces causes, une me parait très répandue et attire particulièrement mon attention : la solution de facilité.


Les générations qui nous ont précédées sont nées et ont évolué dans un monde binaire. En grandissant, l'enfant, selon qu'il soit fille ou garçon, découvrait son destin. Le destin du garçon, c'était de devenir un homme, de posséder une femme, de fonder une famille et d'assurer la subsistance. Et avec un peu de chance, il suivait les traces de son père. Le destin de la fille, c'était de devenir une femme, de se marier, de porter les enfants et de tenir la maison. Chacun étant de plus étiqueté du fait de ses origines sociales, la société trouvait son équilibre dans ce double déterminisme : celui du sexe, et celui des origines. Chacun apprenait sa place dès l'enfance, l'intégrait et y répondait. L'existence avait un but et un sens, établi par la société.

Comme ça devait être simple ! Peu épanouissant, certainement, pour tous ceux qui ne se reconnaissaient pas dans ce modèle et que la société forçait à s'y conformer... Mais rassurant, probablement.
La liberté, c'est une autre paire de manches. Bousculer ce modèle, c'est obliger chacun à se poser à la question : qui suis-je ? Qu'est-ce que je veux faire du temps qui m'est imparti ? Et qu'elles sont difficiles, ces questions ! Combien de jeunes se lancent dans des études longues pour repousser le moment d'avoir à choisir sa future activité professionnelle ? Je le sais, je l'ai fait ! Combien regrettent leurs choix, combien rêvent d'autre chose ?
C'est épuisant, la liberté ; c'est effrayant. Ca suppose d'essayer de sortir le meilleur de soi-même, ça suppose de repousser ses limites, ça suppose de renoncer à une existence rassurante et toute tracée d'avance !
Et si ça ne marche pas, si on parvient pas à se trouver soi-même, à comprendre qui on est et pourquoi on est là, qui est à blâmer ? Ce n'est plus la société, c'est nous-mêmes. C'est dangereux, la liberté.

Parfois, j'en viendrais presque à comprendre ces femmes qui se disent fières de se faire appeler "mademoiselle" et de gagner le droit de se faire appeler "madame" en "s'élevant" par le mariage, en renonçant à leur identité pour se fondre dans celle de leur mari. Ces femmes qui souhaiteraient pouvoir cesser de travailler pour rester à la maison tandis que leur mari va gagner de quoi entretenir la famille. C'est rassurant, un monde binaire où le rôle de chacun est défini d'avance.

Oui, c'est rassurant. Mais ce n'est pas épanouissant.
C'est rassurant, mais c'est contraire à la liberté individuelle de chacun d'exprimer sa propre personnalité et ses propres choix.

Alors à tous ceux qui sont nostalgiques d'une époque où hommes et femmes avaient chacun une place bien définie (de même qu'enfants de bourgeois, enfants d'ouvriers ou enfants d'intellectuels), considérez que ce maigre réconfort est bien une faible prix à payer en comparaison de la liberté individuelle et de l'égalité entre les sexes, à laquelle nous avons tous à gagner.

Comme lu récemment dans l'article "La journée de Lafâme", L’écrivain Jean Guéhenno, dans son Journal des Années Noires, écrivait :

« On ne chan­ge pas la vie à soi seul et ce n’est rien d’être libre en rêve. Le problème de la liberté intéresse tout le troupeau. Tout le troupeau sera libre ou pas une bête ne le sera. »