jeudi 8 novembre 2012

Sacrifiées pour les autres

Ce soir, je suis furieuse. Réellement furieuse.
Furieuse, parce que je lis, comme argument pour contrer l'idée de pénaliser les clients de la prostitution, que "Depuis la pénalisation du client en 1999, les violences sexuelles sont en constante progression en Suède."
Comme si viol et prostitution avaient un lien quelconque.

Cette idée m'écoeure, et à plus d'un titre.
Partons d'abord du principe que ceux qui utilisent cet argument ont raison. Que les violences sexuelles ont augmenté depuis la pénalisation du client en Suède, et qu'il y a un lien entre les deux.
Est-on censés accepter, dans une société du XXIème siècle, qu'une partie de la population soit offerte en sacrifice pour protéger les autres ?! Oublie-t-on que les personnes prostituées sont, elles aussi, victimes de viols à répétition et de violences inacceptables ?
L'idée, ignoble, qui se cache derrière cet argument, c'est qu'il y a deux catégories de femmes : les femmes "normales" et les prostituées. Qui peuvent plus que les autres supporter les violences masculines, qui peuvent être offertes en holocauste pour préserver les autres. Cette idée était répandue au Moyen Âge. Les prostituées étaient tolérées en ville, parce qu'ainsi elles préservaient du pêché les femmes "honnêtes". Depuis cinq cents ans, les droits de l'humain ont largement progressé. Mais cette idée n'a pas bougé d'un poil. D'ailleurs, en France, quand une joggeuse est assassinée, l'information fait la une des journaux. Quand une prostituée est assassinée, c'est comme si elle ne méritait pas une ligne.

Un autre raison pour laquelle cet argument me hérisse, c'est qu'on fait à nouveau porter la responsabilité du crime à la victime. Il y a des hommes qui violent ? Il faut leur fournir un exutoire pour éviter qu'ils ne violent des femmes "convenables" ! Surtout, ne nous posons pas de questions sur l'éducation que la société propose aux garçons. Ne remettons pas en cause les injonctions qu'ils reçoivent dès leur petite enfance pour apprendre à "être un homme" ("ne pleure pas", "sois un homme", "défends-toi"...), à cacher leurs émotions et à se sentir supérieurs aux filles ("tu pleures comme une fillette !", "t'es une petite fille ou quoi ?"...). Non, plutôt que d'apprendre aux hommes à ne pas violer, apprenons aux femmes à avoir peur et à accepter qu'on en offre d'autres en sacrifice.

Et enfin, ce qui m'agace dans cette "analyse", c'est qu'on nous présente deux faits séparés, sans aucune preuve qu'il y a un lien entre les deux. Ou que le lien est bien celui qu'on nous présente. En France, seules 10% des victimes de viol portent plainte. En Suède, une politique d'éducation non-sexiste est en place depuis plus trente ans. Qui peut dire que si le nombre de viols rapportés augmente, ce n'est pas parce que la parole des victimes est plus respectée qu'en France et donc plus libérée ? A-t-on déjà oublié la monstrueuse affaire des viols en réunion de Créteil et les insultes qu'ont subies les deux victimes ? Et les 40 viols par jour que subissent les prostituées, leurs plaintes qui ne sont presque jamais écoutées par la police ? Comme il est simple de faire baisser les statistiques en méprisant la parole des victimes !

On veut nous faire croire que la politique de l'abolition de la Suède est un fiasco. Qu'on aille constater la situation à Amsterdam où les femmes sont exposées en vitrine et où, malgré la légalisation de la prostitution, seuls 2% des personnes prostituées se disent satisfait-e-s de leur travail.

Qu'on pense encore à un simple fait : le rappot Global Gender Gap, basé sur l'égalité hommes - femmes en termes de salaires, d'accès à la santé, à l'éducation et de représentation en politique, classe la Suède 4ème après l'Islande, la Finlande et la Norvège. Trois pays pénalisant les clients.
La France ? 57ème.

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