Le sujet fait beaucoup de bruit depuis une semaine : Najat Vallaud-Belkacem, la Ministre des Droits des Femmes, veut tendre vers l'abolition de la prostitution. Dans un entretien au Journal du Dimanche, elle déclare :
« Mon objectif, comme celui du PS, c’est de voir la prostitution disparaître. Je ne suis pas naïve, je sais que ce sera un chantier de long terme. Cette position abolitionniste est le fruit d’une réflexion tirant les leçons des insuffisances des dispositifs actuels. Dans cette optique, le Parlement a adopté l’an dernier une résolution qui préconise la pénalisation des clients. Tous les partis l’ont votée. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et moi-même ne resterons pas inactifs sur cette question. Sans aucun jugement moral, il s’agit de protéger l’immense majorité des prostituées, qui sont d’abord des victimes de violences de la part des réseaux, des proxénètes. »
La question fait polémique, évidemment. Parmi ceux qui sont contre l'abolition de la prostitution, on entend toujours les mêmes arguments : « dans les pays où la prositution a été légalisée, tout se passe bien ». « Les clients sont des hommes comme tout le monde ; ils ont une frustration sexuelle qu'ils ont le droit de soulager. On ne va pas envoyer en prison un pauvre type qui veut juste s'envoyer en l'air ». « C'est un choix, c'est un métier comme un autre ; on doit pouvoir disposer de son corps comme on veut. L'Etat n'a pas à s'immiscer dans une relation entre deux adultes consentants, même tarifée »...
Que penser de tout ça ?
« Dans les pays où la prositution a été légalisée, tout se passe bien »
Aux Pays-Bas, la prostitution a été légalisée en 2000. A Amsterdam, les filles se vendent en sous-vêtements derrière des vitrines rouges dans des rues que les touristes arpentent en trouvant ça, peut-être, « pittoresque » ou amusant.
Peut-être qu'ils ne savent pas que, d'après les propres enquêtes des instituts d'analyses aux Pays-Bas, entre 50 et 90% de ces femmes n'ont pas choisi de se prostituer mais sont tombées sous la coupe d'un mac. Peut-être qu'ils ne savent pas que seules environ 10% ont pris le statut de prostituée légale, et que 98% voudraient changer de vie. Peut-être qu'ils ne savent pas que leur statut de femmes en vitrine ne les protège ni de la violence des clients, ni de la violence des macs.
Tout se passe bien dans les pays où la prostitution a été légalisée ? Non. Les prostituées ne sont pas plus protégées qu'avant. Par contre, dans ces pays, les programmes d'aide à la sortie de la prostitution disparaissent petit à petit. En effet, quel Etat financerait des programmes pour sortir d'une profession « normale » ? Aux Pays-Bas, l'agence pour l'emploi a sommé une hôtesse de l'air de se présenter dans une maison close, parce qu'il était temps qu'elle se remette à travailler. Apparemment, l'agence pour l'emploi estimait qu'après avoir servi des verres et des repas à des clients-passagers, elle pouvait tout aussi bien se mettre à tailler des pipes à des clients-prostitueurs. Un métier comme un autre !
Pour couronner le tout, la légalisation de la prostitution met en danger toutes les femmes en présentant leur corps comme un bien qu'on peut acheter ou « louer ».
« Les clients sont des hommes comme tout le monde »
Effectivement. Ce sont des frères, des maris, des pères.
Mais ce sont des hommes qui achètent des femmes.
En France, environ 90% des prostituées le sont de manière forcée : elles sont victimes de la traite des femmes, tombées sous la coupe d'un mac ; elles n'ont plus d'autre moyen de subsistance ; elles ont été victimes, jeunes, de violences sexuelles ; elles sont étrangères, perdues dans un pays qu'elles ne connaissent pas, et leurs papiers ont été confisqués...
En France, ce sont également 95% des prostituées qui veulent changer de vie.
Ces faits sont un secret de polichinelle. Tout le monde – y compris les clients – sait qu'une grande partie des prostituées s'est retrouvée forcée, d'une manière ou d'une autre, à faire le trottoir. Participer au système prostitueur en achetant des femmes, c'est alimenter ce système ; c'est risquer d'acheter une relation sexuelle à une femme – ou une fille – non consentante. C'est inacceptable.
Ces hommes vivent peut-être une situation de misère sexuelle, et je nie pas qu'ils peuvent souffrir. Mais comment peut-on imaginer faire passer leur souffrance avant celle de ces filles et de ces femmes qui, majoritairement, n'ont pas choisi de se prostituer et se retrouvent violées et violentées à longueur de journée ?
Les clients-prostitueurs ont un immense avantage sur les prostituées : ils choisissent. Ils décident. Ils sont libres de ce qu'ils font. Par conséquent, ils portent la responsabilité de ce système violent et destructeur.
Pénaliser les prostituées n'est pas une solution ; elles sont les victimes. Pénaliser les clients signifie en revanche envoyer un signal fort rappelant qu'acheter une relation sexuelle, c'est faire violence à une femme qui n'a sans doute pas choisi d'être là... et à travers elle, faire violence à toutes les femmes. C'est la seule solution pour enrayer la prostitution.
Quant à leur frustration sexuelle, à l'époque d'internet, on ne compte plus les sites de rencontre basés sur les plans d'un soir. Là ou dans des clubs échangistes, les clients devraient trouver des femmes qui ne sont pas exploitées.
« On ne peut pas légiférer sur des relations entre deux adultes consentants ».
Les relations client-prostituée n'ont rien de relations entre deux adultes consentants. A supposer déjà que la prostituée soit adulte, son consentement est plus que discutable. J'ai déjà abordé la question du choix – ou plutôt de l'absence de choix. Mais ce n'est pas tout. Les prostituées commencent, en moyenne, à l'âge de 14 ans. Si vous connaissez des filles de 12-15 ans (fille, sœur, nièce...), essayez de les imaginer choisir la prostitution : leur choix vous paraitrait-il libre et éclairé ? En outre, beaucoup de prostituées ont été victimes d'abus sexuels pendant leur enfance.
Comment parler de relations entre deux adultes consentants dans ces circonstances ?
« C'est un métier comme un autre ».
C'est bien là la question la plus épineuse sur la prostitution. A moins d'être sévèrement misogyne, personne ne peut défendre le système prostitueur actuel et l'exploitation de la misère des femmes. Mais quid d'une prostitution légale, encadrée, protégeant les femmes et leur laissant le choix ?
La prostitution n'est pas un métier comme un autre. Les prostituées ont un taux de mortalité 20 fois plus important que le reste de la population. 93% d'entre elles sont battues par leurs clients, et ce chiffre n'aborde même pas la violence de leurs macs. Elles ont un taux de suicide supérieur à la moyenne.
Ce n'est pas un métier. C'est une violence faite aux femmes.
Certains parleront du droit de chacun à disposer de son corps : le corps des prostituées leur appartient, elles sont libres d'en faire ce qu'elles veulent et de travailler dans les conditions qu'elles choisissent. C'est amusant, il n'y a que pour les prostituées que ce libéralisme est défendu bec et ongles : pourquoi, en effet, est-ce que nous nous protégeons derrière un droit du travail si nous considérons que chacun peut disposer de son corps et de son temps comme il veut ? Revenons au lancer de nain, laissons les employeurs proposer des contrats de travail de 100 heures par semaine : libre à chacun de l'accepter ou non !
Tout n'est pas acceptable. La société ne peut pas accepter des conditions de travail dangereuses et dégradantes – et promouvant une vision malsaine et masculiniste des relations entre les hommes et les femmes – sous le seul prétexte d'un « droit à disposer de son corps ».
Amusant d'ailleurs, comme les défenseurs du droit à la prostitution envisagent rarement cette profession pour eux-mêmes ou pour leurs proches !
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