L'information a buzzé sur le net, et si certains sont immédiatement tombés dans le déni (c'est exagéré, ça n'existe pas en France, elles aiment ça, etc.), l'affaire a au moins eu le mérite de délier les langues. Sur Twitter, un hashtag #harcelementderue a permis aux femmes de témoigner sur leur propre harcèlement qu'elles subissent, et les témoignages se sont multipliés. Beaucoup d'hommes ont alors semblé tomber des nues et découvrir un phénomène qu'on connait depuis le tout début de l'adolescence.
C'est vrai que nous en parlons peu. Parce qu'on aurait trop de choses à raconter, sans doute. Parce qu'on n'a pas envie d'avoir à expliquer que ce n'est pas lié à nos vêtements ni à notre attitude, peut-être. Peut-être également, parce qu'il nous reste un vieux fond de culpabilité qui fait qu'à chaque fois que ça nous arrive, on a le réflexe de se demander ce qu'on a fait de mal.
Cette vidéo est libératrice. Quand on voit ce harcèlement arriver à une autre femme, on se sent solidaire ; on sait qu'elle n'a rien fait de mal et qu'elle n'a pas provoqué ce harcèlement et par miroir, on sait que ce n'est non plus jamais de notre faute. Et on ose parler, sans honte, sans culpabilité, libres.
Quelles pourraient être les retombées de cette vidéo ?
Là est la question qui se pose, parce que libérer notre parole est une première chose, mais c'est insuffisant. Il faut pouvoir arracher le droit de marcher dans la rue en sécurité, sans se faire insulter.
Le maire de Bruxelles évoque une loi punissant le harcèlement de rue d'une amende. Soit. Les insultes et le racisme sont déjà punis, punir le harcèlement sexiste s'inscrit dans la même lignée et ça devrait être le cas depuis longtemps déjà.
Ce qui me gêne, c'est que le débat semble s'arrêter là. Comment ne pas comprendre, en voyant à quel point le problème est courant et général, qu'il ne s'agit pas là de l'incivilité d'individus à punir au cas par cas, mais bien d'une réel problème d'éducation et de société ? Comment ne pas comprendre qu'il faut maintenant réfléchir à la manière d'éduquer au respect des femmes ? A leur droit d'occuper l'espace public, partout, n'importe quand, et quels que soient leurs vêtements ?
Depuis la sortie de cette vidéo, et notamment grâce à l'expression « harcèlement de rue », je me suis mise à réfléchir à ce que j'ai moi-même subi depuis mes onze ans. Cette expression est effectivement bien trouvé.
Harcèlement, d'abord. Le terme permet de faire la différence entre les harceleurs et les dragueurs. Les dragueurs abordent gentiment et comprennent quand on leur dit non. Les harceleurs abordent de manière directe voire insultante et insistent, alors qu'on a parfois déjà dit non trois ou quatre fois. Eventuellement, ils concluent d'une insulte. Et puis il y a évidemment ceux qui cherchent simplement à humilier ou intimider, ceux qui sifflent, ceux qui sont vulgaires, ceux qui commentent nos fesses ou nos seins et pire, ceux qui touchent.
De rue, ensuite. En faisant le bilan de mon histoire, j'ai réalisé que dans mon cas, le harcèlement avait lieu environ 95% du temps dans la rue, 5% du temps dans le métro. Plus intéressant encore, je me suis rappelée que lorsque j'étais adolescente, des garçons qui étaient au même collège que moi pouvaient me harceler dans la rue, mais jamais dans l'enceinte du collège. (Et ce n'était pas une question de présence d'adultes : ces mêmes garçons fumaient en cachette dans la cour, ils n'auraient eu aucun mal à harceler une jeune fille). Le harcèlement est bien de rue puisque c'est toujours dans le cadre des lieux publics extérieurs ou de transit (transports en commun) qu'il se produit. Et il vise à faire peur et à humilier.
Il y a bien, pour les harceleurs, une conception de l'espace public comme masculin. A leurs yeux, toute femme qui s'y aventure le fait à ses risques et périls : les règles du jeu sont celles de ces messieurs. La seule solution pour y échapper, c'est de succomber au patriarcat et de se faire accompagner d'un homme (auquel cas le harcèlement est bien moins fréquent voire nul, l'homme légitimant notre présence) ou de rester chez soi. Dans la sphère domestique.
A présent que la langue des femmes s'est déliée et que le phénomène commence à être connu et reconnu, il est donc important de ne pas se contenter du répressif et de réfléchir à comment attaquer le problème à la racine : éduquer au respect des femmes et au partage de l'espace public.
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