Pourquoi est-ce que vous haïssez le corps des femmes ?
Pourquoi est-ce que vous haïssez votre propre corps ?
Pourquoi est-ce que vous apprenez à vos filles à haïr leur corps ?
Voilà les questions qui me travaillent ces temps-ci. On pourrait croire que dans notre société, qui affiche des corps de femmes partout dans les médias, les séries, les films, la publicité, la photo... honore et admire ce corps féminin.
Je vous le dis : c'est faux.
Elle le hait, ce corps ; elle traque ses moindres imperfections, elle le torture, elle le modèle pour qu'il ne se ressemble plus et qu'il atteigne une perfection qu'elle a arbitrairement choisie. Aujourd'hui, le corps féminin doit être fin mais avec des rondeurs aux fesses et aux seins ; le ventre doit être plat ; les seins doivent être hauts ; la peau doit être lisse, sans peau d'orange ni cellulite ; elle doit être intégralement épilée. Bref, le corps d'une femme ne doit surtout pas ressembler... au corps d'une femme. On attend des femmes aujourd'hui qu'elles ressemblent à des fillettes !
Et la perfection étant par nature inatteignable, le corps des femmes est voué à n'être qu'un échec dont on souligne les imperfections ; les femmes sont condamnées à considérer, à travers le regard de la société, leur corps comme éternellement imparfait. Et, bien sûr, périssable, comme nous l'avons vu précédemment (« C'est un fait, les femmes vieillissent plus mal ! »).
Il est indéniable que le corps des femmes – ou plutôt une certaine vision du corps des femmes – est sous les projecteurs de la société. Corps presque nus pour vendre tout et n'importe quoi dans la publicité, héroïnes systématiquement jeunes et belles, photos retouchées pour amincir des hanches, gonfler des seins...
Dans les films et séries, 99% des femmes sont non seulement jeunes et belles, mais elles incarnent des personnages qui allient compétence et allure soignée, classe, apprêtée. Dans les séries policières, par exemple, les femmes de terrain, qui découvrent des scènes de crime dans les bois, qui procèdent à des arrestations musclées... sont toujours perchées sur talons aiguille. Bien entendu, je n'avais jamais pensé à l'utilité des escarpins pour marcher dans la boue ou courir après des criminels !
Le film We want sex equality qui présente la lutte des ouvrières de l'usine Ford à Dagenham (Angleterre) pour obtenir l'égalité des salaires au printemps 1968 ; c'est un film plein de bonne humeur qui présente une lutte saine, alliant femmes et hommes contre une injustice flagrante et révoltante. Mais les ouvrières du film sont toutes jeunes, belles, fraîches, fines aux jambes galbées ; elles portent des robes courtes, des minijupes, des décolletés plongeants, des escarpins (encore !) et vont clubber après le travail ! Le générique présente des photos d'époque des femmes qui ont réellement mené cette lutte à Dagenham en 1968. Laissez-moi vous dire qu'elles ne ressemblaient pas à leur représentation dans le film.
Alors quoi ? Il est impensable de montrer au cinéma ou à la télé des femmes qui ne sont plus jeunes et qui ont été marquées par le poids de leur vie, d'un travail dur et physique ? Inconcevable d'avoir des héroïnes qui n'ont pas le souhait ou pas le temps de passer des heures à se lisser les cheveux, se poudrer le visage, se farder les paupières ? Qui trouvent un pantalon et des baskets plus pratiques pour travailler que la mini-jupe et les escarpins ? Ces femmes courageuses ont risqué beaucoup pour une cause juste ; elles méritaient que le film censé leur rendre hommage mettent l'accent sur leur courage et ne juge pas leur apparence physique indigne du cinéma.
Bien pire que ces exemples, les exigences de perfection pour le corps féminin sont aujourd'hui de plus en plus précoces. On connait les histoires de talons hauts, soutien-gorge, strings ou centres de beauté pour fillettes, ou les concours de mini-miss. Ils font encore relativement scandale... mais ils existent. Et se développent.
Les exemples de cette surmédiatisation d'un corps féminin fantasmé (qui n'est même pas celui des femmes dont l'apparence est le métier, puisque même leurs photos sont retouchées) sont nombreux ; et les conséquences également. Les femmes portent aujourd'hui trois casquettes : pour arriver au même niveau professionnel que les hommes, elles doivent être deux fois plus compétentes. Chez elles, elles assument encore 80% des tâches ménagères et tout ce qui a trait au foyer et à l'enfance leur est bien entendu dévolu. Et comme si tout ça n'était déjà pas suffisant, tout ce qui les entoure leur rappelle qu'elles ne sont pas de vraies femmes tant que n'ont pas les yeux maquillés, les escarpins chaussés et le maillot épilé. C'est une pression qui peut être très lourde à porter. Qui conduit beaucoup de femmes à se juger au travers de ce que la société pense de leur corps... et à se haïr elles-mêmes.
Aujourd'hui, des hôpitaux voient arriver des fillettes de neuf ans anorexiques. A neuf ans, elles se sont trouvées trop grosses et ont décidé de faire un régime qui les a conduit à se mettre en danger. Les communautés « pro-ana » (pro-anorexie) se développent sur internet, avec astuces, conseils et culpabilisation à la clé. Les médias, les publicités, les séries, le cinéma et tous ceux qui font l'apologie d'un corps féminin sans défauts portent la responsabilité collective des risques que prennent ces filles.
Une mère qui avait inscrit sa fille à un concours de beauté expliquait que ça lui apprenait à avoir confiance en elle. Non, madame. Vous lui apprenez à juger sa propre valeur non seulement uniquement à l'aune de son physique mais aussi à travers le regard des autres ; vous lui apprenez à ne s'estimer que comparativement aux autres filles avec qui elle concourt ; vous lui apprenez, enfin, à traquer les moindres défauts et imperfections de son corps dans une quête perdue d'avance et qui pourrait même la conduire à se mettre en danger. Bref, vous lui apprenez à se haïr.
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