Un argument que j'entends régulièrement au sujet de la disparition du « mademoiselle » des formulaires administratifs (disparition qui n'a pas fini de faire parler les aigris), c'est : « Mais c'est flatteur de se faire appeler mademoiselle ! »
Et de continuer : mademoiselle, c'est la légèreté, c'est la fraicheur, c'est la jeunesse !
C'est amusant ; pour moi, c'est plutôt l'inverse. Quand un médecin que je vois pour la première fois, parce que je n'ai pas l'air d'avoir mes vingt-huit ans, m'inscrit d'office à « mademoiselle », m'appelle par mon prénom et me parle comme à une adolescente attardée, ça m'agace. Ca ne me flatte pas.
Et puis quoi, nous, les femmes, nous devrions avoir honte de vieillir ? Nous devrions cacher notre âge ?
Certes oui ! répond la société. Chez un homme, l'expérience est attirante. Chez une femme, c'est la jeunesse et « l'innocence ». D'ailleurs, « on ne demande pas son âge à une dame ».
Mademoiselle, c'est flatteur, parce qu'une femme se fane avec l'âge. Et puis, « c'est un fait » : les femmes vieillissent plus mal que les hommes !
Faites le test autour de vous : vous n'en reviendrez pas du nombre de personnes qui sont persuadés de cette idée et qui la présentent comme un fait. Peut-être en êtes vous vous-mêmes convaincus ; je l'ai été, moi-même, et j'ai même répété ces clichés et ces idées reçues.
La beauté est un concept subjectif. Les critères qui font qu'une femme ou un homme sont considérés belle ou beau sont très variables selon les cultures, selon les époques. Au Moyen-Âge, on valorisait les rondeurs, les formes enveloppés, les cheveux blonds, le teint très pâle. Aujourd'hui, le ventre des femmes se doit d'être plat et non arrondi, le teint hâlé et non clair. Et puis il y a la pure beauté plastique du corps, du visage, et le charme, encore plus subjectif. Ma grand-mère était une très belle jeune femme ; à bientôt quatre vingt-cinq ans, elle n'a certes plus le corps souple d'une jeune fille de dix-huit ans, mais elle est toujours très belle. La beauté, finalement, est dans les yeux de celui qui regarde.
Et qui a décidé, donc, que les femmes vieillissaient plus mal que les hommes ? La vieillesse blanchit les cheveux et ride la peau des hommes comme des femmes. Et si les seins et les hanches des femmes s'alourdissent avec l'âge, les hommes prennent du ventre et perdent leurs cheveux. En quoi est-ce plus désirable ? Trouvez-vous réellement que Robert, du bar PMU, avec sa ceinture de bière et son crâne dégarni, a mieux vieilli que Sharon Stone ou Madonna ?
Alors pourquoi juge-t-on avec plus d'indulgence l'âge d'un homme que l'âge d'une femme ?
J'y vois plusieurs raisons. Sur un homme, on juge en grande partie le charme. Et le charme ne se tarit pas avec l'âge, au contraire : les cheveux poivre et sel, le visage qui commence à se marquer, tout ça apporte la preuve que l'homme a vécu, qu'il a de l'expérience ; chez un homme, c'est séduisant. Georges Clooney n'a certainement plus le corps d'un jeune de dix-huit ans, lui non plus, mais il est resté très longtemps considéré comme l'homme le plus sexy de la planète. Et effectivement, il a beaucoup de charme.
Chez une femme, dans notre société, la beauté ne se limite pas au charme. Le corps a plus d'importance que chez un homme. On se doit d'être sexy, d'avoir des formes parfaites, le corps entièrement épilé... Les standards sont bien plus élevés que chez les hommes ; et bien sûr, ils résistent moins au temps. Et contrairement aux hommes, les marques des ans n'ajoutent pas au charme des femmes au regard de la société. D'une part, on attend des femmes qu'elles n'aient pas trop d'expérience (en termes de partenaires sexuels, par exemple). D'autre part, les femmes sont toujours très liées à leur fonction reproductrice, à leur rôle consistant à porter les enfants ; la féminité – de même que la virilité – est encore largement liée à la capacité à procréer. Et c'est une capacité qui disparait avec l'âge.
Une femme qui vieillit et qui ne peut plus avoir d'enfants, ça dérange, ça inquiète – d'autant plus quand c'est une femme qui n'a jamais eu d'enfants. On ne sait plus bien où la classer ; c'est un être hybride : certainement pas un homme, mais pas non plus tout à fait une femme.
Nous considérons que les hommes « vieillissent mieux » que les femmes, parce que nous avons été habitués à voir le monde d'une certaine façon. Nous sommes habitués à considérer que les hommes doivent être mûrs tandis que les femmes doivent être fraîches, qu'elles sont liées à leur fonction de reproduction, qu'elles doivent être parfaites des pieds jusqu'à la tête et n'avoir aucun des défauts qu'on pardonne aux hommes. En fait, nous considérons que les hommes vieillissent mieux que les femmes parce que, tous autant que nous sommes, nous sommes habitués à voir le monde par les yeux d'un homme.
En ce qui me concerne, j'ai l'audace de penser que je suis autre chose qu'un utérus et que je suis également plus que les lignes de mon corps. Je suis ce corps, évidemment ; mais je suis également toutes mes qualités et tous mes défauts, je suis tout ce que j'ai vu et vécu, y compris ce que j'aurais préféré ne pas vivre et voir. Mes expériences me forgent et me façonnent et je compte bien ne jamais en avoir honte et ne jamais cacher mon âge.
Et s'il y a bien une chose qui ne me flatte pas, c'est qu'à vingt-huit on me traite comme si j'en avais seize !
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