J'ai lu récemment sur une chronique cinéma, à propos du dernier film de Tim Burton, Dark Shadows, dans lequel un vampire du XVIIIème siècle maudit par une sorcière amoureuse se réveille deux siècles plus tard et cherche à se venger : « Tim Burton est un cinéaste féministe, la preuve, dans Dark Shadows, les personnages intéressants sont encore des femmes ! »
Ah. Le héros est pourtant bel et bien un homme, mais les personnages qui gravitent autour de lui sont globalement plus féminins que masculins, donc admettons.
Il suffirait de parler de femmes pour être féministe ? Il suffirait de présenter des personnages féminins ?
Evidemment non. Si je réalise une chronique sur les vertues d'une bonne gifle de temps en temps en prenant le point de vue de femmes qui accepteraient la violence de leur compagnon, je ne ferai pas une production féministe. Ce n'est pas d'avoir des personnages féminins qui importe, c'est le message qu'elles véhiculent.
Dans le cas de Dark Shadows, voyons donc ces différents personnages féminins...
D'abord, la sorcière. Celle qui, amante et amoureuse éconduite (elle qui n'est qu'une servante dont son maître profite avant de la jeter pour son « vrai amour »), maudit son ancien amant et le condamne à devenir un monstre.
Suffirait-il de présenter des femmes puissantes et dangereuses pour être féministe ? Dans ce cas, l'époque moderne était une époque sacrément féministe, avec toutes les sorcières qu'elle a brûlées ! Non, de tous temps, les hommes, incapables de comprendre les mystères de la maternité, ont prêté aux femmes des pouvoirs magiques ; particulièrement aux femmes qui échappaient à la domination masculine, les « vieilles filles ». Il n'y a qu'à se souvenir des contes pour enfants : pas de sorcier chez Blanche-Neige ou dans la Belle au Bois dormant, mais toujours des sorcières, des femmes seules, vieilles, aigries et souvent jalouses.
La sorcière de Tim Burton, après avoir été rejetée par son amant, passe deux cents ans dans la haine et la vengeance, avec pour seul objectif de détruire la famille et les réalisations de celui qui l'a blessée.
Pas de féminisme chez ce personnage : c'est une femme aigrie et jalouse qui se venge par les moyens qu'on a toujours prêtés aux femmes : le mal, les sortilèges, la fourberie, les alliances avec les forces des ténèbres. C'est un personnage des plus classiques.
Passons à présent sur la dite famille du héros. Une mère, une fille, une psychologue pour venir en aide à un neveu traumatisé. La mère montre du courage et de la détermination, mais il est clair qu'elle n'a pu empêcher la ruine de l'entreprise et du manoir familiaux, qui ne peuvent se redresser que lorsque le héros – un homme – vient reprendre les choses en main. Sa fille est – à peu de choses près – une adolescente tout ce qu'il y a de plus typique, qui traîne les pieds, s'enferme dans sa chambre, et joue à l'occasion à être insolente. Elle n'a d'ailleurs qu'un rôle mineur, tout comme la psychologue.
Enfin, le « vrai amour » du héros. La jeune fille douce, innocente et naïve. Tout au long du film, on apprendra très peu de choses sur Victoria, la jeune gouvernante, sur son passé comme sur son caractère. Elle est en fait l'exacte opposée d'Angelique, la sorcière : l'une est mûre, a déjà vécu deux cents ans et est plutôt du genre femme fatale ; l'autre est fraîche, jeune, inexpérimentée et d'une « beauté qui s'ignore ». L'une est dure, puissante et il faut s'en protéger ; l'autre est douce, docile et doit être protégée. L'une incarne le stéréotype de la femme jalouse et dangereuse, l'autre le cliché de l'éternel féminin.
Il faut à tout prix se méfier de la femme indépendante. Le héros ne tombera pas amoureux de la puissante mais maléfique Angelique (lui-même étant un vampire, il égorge régulièrement des bandes d'ouvriers ou de jeunes mais contrairement à la sorcière, il reste dans le camp des gentils) ; il lui préfèrera la jeune fille innocente et à peine sortie de l'adolescence, pour qui il aura le coup de foudre dès le premier regard ; c'est dire si le caractère ou l'esprit de Victoria ont la moindre importance.
Non, le personnage de Victoria est loin de marquer par sa profondeur et ne donne certainement pas au film un aspect féministe.
Alors quoi, Dark Shadows, film sexiste ? Non. C'est un film agréable dans lequel il ne faut pas essayer de voir plus que ce qu'il offre : une démonstration de talent, une succession de scènes magnifiquement bien tournées et mises en scène, un scénario prétexte au burlesque et à une gentille épouvante, une poésie (surtout visuelle) caractéristique de Tim Burton et de bons acteurs qui se font visiblement plaisir. Mais ce n'est certainement pas un film féministe.
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