Avril 2005, à Carpentras. Une adolescente de 14 ans fugue après une dispute avec son père, et se rend dans une cité, espérant se faire héberger par un ami. Mais au lieu d'un refuge, c'est l'enfer qu'elle trouve.
Pendant deux semaines, traînée de caves en hôtels, l'adolescente va être violée, contrainte à des jeux sexuelles, des séances photo, et même prostituée. Un jour, enfin, l'un des jeunes – qui n'a pas participé aux viols – accepte de la conduire à la gendarmerie. C'est la fin d'un calvaire et le début d'un chemin de croix pour surmonter le drame.
En juillet 2011, douze de ces jeunes comparaissent devant un jury. Ils reconnaissent les faits, tout en arguant que la jeune fille faisait « dix sept ans, dix sept ans et demi » et qu'elle était consentante. Comme souvent, dans les cas de viols, la victime se retrouve, elle aussi, parmi les accusés, devant justifier de son passé pour être considérée comme victime ; plus encore lorsque le poids de la cité coud les lèvres des témoins.
D'ailleurs, tout au long du procès, les témoins – vivant dans la cité, amis des accusés - n'ont de cesse de décrire la victime comme une fille facile, une menteuse. Les accusés corroborent cette version. « Elle voulait du sexe, elle en a eu », disent-ils. Certains d'entre eux des petits délinquants multirécidivistes. D'autres n'ont pas de casiers judiciaires et se sont « rangés », ont à présent femme et enfants. Ils sont « passés à autre chose ».
Dans la cité, devant le viol, chacun se serre les coudes et c'est la victime qu'on blâme.
Plus que ce déroulé sans surprise, c'est l'analyse de l'expert psychiatre qui est stupéfiante : selon lui, ce sont « des jeunes normaux avec des histoires banales qui se sont retrouvés confrontés à une situation extraordinaire où tout a basculé (…) Ces jeunes ne sont pas dans une quête de plaisir mais dans la participation à un acte commun. Cela tient du rite initiatique, qui n'est pas un phénomène nouveau. C'est vrai qu'il y a mieux, comme initiation. Mon premier émoi, je l'ai eu en donnant de l'eau bénite à une jeune fille qui rentrait dans une église. (…) Dans cette pratique sexuelle, l'objet de la sexualité n'est pas la jeune fille mais le rapport avec les autres garçons, un peu comme dans « la guerre des boutons » : je suis capable, j'ai un plus gros zizi ou je fais pipi plus loin. ».
Attendez, stop.
Un rite initiatique ? Comparé à un premier émoi ou à « la guerre des boutons » ?!
De deux choses l'une : soit – étant donné la gravité des faits, leur durée et leur répétition – ces jeunes étaient conscients de ce qu'ils faisaient et en ce cas, le terme de « rite initiatique » est proprement scandaleux (un rite initiatique vers quoi ? L'apprentissage d'une relation de domination, de soumission, d'humiliation de la femme ?), soit ils ne s'en sont pas rendus compte et c'est encore plus grave. Car si trente jeunes, séquestrant et violant une jeune adolescente de 14 ans, ne sont pas capables pendant deux longues semaines de prendre un moment de recul et de réaliser la gravité de leurs actes, alors c'est la société toute entière qui est malade et c'est sa culpabilité qui est à rechercher. A présenter les hommes comme des prédateurs incapables de se réfréner et ayant des « besoins » qu'ils doivent satisfaire, et les femmes comme des objets sexuels à leur disposition, à systématiquement demander aux victimes comment elles étaient habillées (pas trop court surtout, ni trop décolleté !), à laisser des Catherine Millet venir expliquer que le viol, ce n'est pas si grave, voilà le résultat.
En tous les cas, la qualification d'un tel drame de « rite initiatique » par un psychiatre est plus qu'inquiétante et devrait éveiller les consciences à la réflexion, certainement pas rester inaperçue comme c'est le cas. Nul n'aurait jamais osé qualifier le calvaire et la mort tragique d'Ilan Halimi de « rite initiatique ». Les deux affaires ne sont bien sûr pas à mettre sur le même plan, mais entre l'indignation et l'horreur suscitée par l'une et l'indifférence voire les excuses provoquées par l'autre, il y a un monde bien trop grand.
Quoiqu'il en soit, l'expert psychiatrique a fait d'une circonstance aggravante (le vol en réunion, puni de 15 ans de prison) une circonstance atténuante : c'est le rapport au groupe qui était en jeu, c'était un rite initiatique, c'était l'effet de foule. Les accusateurs ont fait quelque chose de mal, certes, mais ils sont excusés. Tandis que la victime , elle, est fautive : « Cette jeune fille était en quête d'amour, d'affection. Elle n'a pu s'opposer à la volonté du groupe et a pu, à certains moments, être débordée par la situation et ressentir une forme de plaisir affectif. » (à tel point qu'après sa libération, elle se fera hospitaliser puis fera une tentative de suicide).
Ces jeunes ont été condamnés, à des peines allant jusqu'à deux ans de prison ferme. En plus de la question du rôle de la société dans les violences faites aux femmes, il y a celle du message envoyé par une telle condamnation qui est importante. Et le message, ici, est clair.
C'est celui d'une société laxiste envers les brutes et les lâches qui violentent les femmes.
Sources
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