jeudi 24 janvier 2013

Louer ses bras ou louer son ventre ?


Il y a quelques semaines, lors de la manifestation en faveur du mariage homosexuel, Pierre Bergé, souhaitant défendre la gestation pour autrui, a eu ces mots : « Louer ses bras à l'usine ou louer son ventre, quelle différence ? ». Ces propos ont provoqué un tollé général, comme ils le méritaient.

« Louer ses bras à l'usine ou louer son ventre, quelle différence ? », comme si l'être humain était morcelable, débitable en petits morceaux indépendants les uns des autres. Comme si le ventre d'une femme n'était pas relié à sa tête, à son corps, à ses vaisseaux sanguins, à ses artères ; comme s'il n'était pas une partie vitale de son corps, de sa personne et de son esprit. Comme si elle pouvait décider de s'en détacher pendant neuf mois, de le « louer » sans aucune conséquence sur son corps et son esprit.

Il est idiot et dangereux de dire qu'un ouvrier « loue ses bras », : c'est oublier que c'est toute sa personne - bras, dos, jambes, corps, tête, esprit - qui est engagée dans un travail parfois pénible, difficile voire même dangereux et que c'est par conséquent toute sa personne - bras, dos, jambes, corps, tête, esprit – qui en subit les conséquences ; c'est donc risquer de laisser de côté certains types de souffrances liées au travail. Ce ne sont pas les bras qui souffrent le plus d'accomplir une tâche à la chaîne : si un ouvrier « louait » ses bras, ça ne poserait aucun problème ; or, corps et esprit sont uns et indissociables.

C'est également vrai pour le ventre d'une femme. Dire qu'une mère porteuse « loue » son ventre, c'est oublier qu'autour de cet utérus, il y a une femme. Une personne, un être humain plein et entier avec un esprit, des projets, des rêves, des difficultés souvent, et un corps assujetti aux fluctuations hormonales et à la souffrance.
On dit souvent du cœur qu'il est le siège de nos émotions, mais c'est faux. C'est au ventre qu'on a mal quand on est trop nerveux ; on peut même être malade de trop de stress. Pour se calmer, c'est par le ventre qu'on respire profondément. C'est là qu'on digère les aliments nécessaires au fonctionnement de notre corps, de notre cerveau. Le ventre est le siège de nos émotions. Ce n'est pas un organe indépendant.
La grossesse n'est pas sans conséquences sur le corps d'une femme, au-delà du contrecoup sur la silhouette qui fait que des femmes égoïstes voudraient déléguer à d'autres la gestation de leur enfant. Si la plupart des grossesses se passent bien, elles sont rarement sans inconvénients : nausées, vergetures, remontées acides, douleurs de l'accouchement pour les plus bénins. Sciatiques, diabètes gestationnels, osthéoporose voire fièvres puerpérales pour les plus graves. Aujourd'hui, dans le monde, des femmes meurent encore en couche ou des suites d'un accouchement. Des femmes, souvent, pauvres, démunies, sans protection ; des femmes parmi celles qui seraient le plus susceptibles de devenir des mères porteuses, de « louer leur ventre ». Bref, une grossesse n'est pas circonscrite dans le ventre des femmes, elle mobilise le corps tout entier. D'ailleurs, des chercheurs ont récemment expliqué que l'accouchement se déclenche lorsque le nourrisson utilise une part trop importante du métabolisme de sa mère.

Ce ne sont là que les conséquences sur le corps des femmes. Mais ce corps est indissociable de l'esprit, et les conséquences psychologiques d'une grossesse ne peuvent pas, non plus, être ignorées, être reléguées de côté comme si une mère porteuse ne faisait que « louer son ventre ». Anne Sylvestre l'a chanté dans « Tu n'as pas de nom », sa chanson pour défendre l'avortement : « Savent-ils que ça transforme / L'esprit autant que la forme / Qu'on te porte dans la tête / Que jamais ça ne s'arrête ». Encore une fois, si une grossesse peut très bien se dérouler (et si une grossesse désirée peut être un moment merveilleux dans la vie d'une femme), il n'est pas anodin de porter un être en soi pendant neuf mois. Une amie m'a affirmé n'avoir pas souhaité allaiter, après la naissance de son enfant, parce qu'elle avait envie de se réapproprier son corps qu'elle avait senti lui échapper pendant sa grossesse. L'accouchement a également ses conséquences et le « baby-blues », cette déprime passagère du fait de ne plus avoir d'enfant dans son ventre, est un phénomène connu et reconnu. Enfin, l'abandon de l'enfant qu'on a porté neuf mois peut bien sûr être cause de graves souffrances et pose déjà problème dans les pays qui pratiquent la gestation pour autrui ; en Ukraine, une mère porteuse qui avait décidé, à la naissance, de reconnaître ses jumeaux, vient de se voir sommée par la justice de confier les enfants au couple qui l'avait embauchée.

L'être humain n'est pas divisible, ses membres et ses organes ne sont pas dissociables les uns des autres. On ne « loue » ni ses bras, ni son ventre, ni son vagin. Le phénomène de dissociation qui peut survenir lors de certains viols intervient en cas de frayeur ou de souffrance extrême et n'est pas sans causer des troubles par la suite. Nier cette intégrité du corps humain, c'est refuser d'analyser une situation, une tâche, un métier, dans toutes ses implications et conséquences possibles ; c'est idiot et dangereux.

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