vendredi 25 mai 2012

Dark shadows ou l'éternel féminin


J'ai lu récemment sur une chronique cinéma, à propos du dernier film de Tim Burton, Dark Shadows, dans lequel un vampire du XVIIIème siècle maudit par une sorcière amoureuse se réveille deux siècles plus tard et cherche à se venger : « Tim Burton est un cinéaste féministe, la preuve, dans Dark Shadows, les personnages intéressants sont encore des femmes ! »

Ah. Le héros est pourtant bel et bien un homme, mais les personnages qui gravitent autour de lui sont globalement plus féminins que masculins, donc admettons.
Il suffirait de parler de femmes pour être féministe ? Il suffirait de présenter des personnages féminins ?

Evidemment non. Si je réalise une chronique sur les vertues d'une bonne gifle de temps en temps en prenant le point de vue de femmes qui accepteraient la violence de leur compagnon, je ne ferai pas une production féministe. Ce n'est pas d'avoir des personnages féminins qui importe, c'est le message qu'elles véhiculent.
Dans le cas de Dark Shadows, voyons donc ces différents personnages féminins...

D'abord, la sorcière. Celle qui, amante et amoureuse éconduite (elle qui n'est qu'une servante dont son maître profite avant de la jeter pour son « vrai amour »), maudit son ancien amant et le condamne à devenir un monstre.

Suffirait-il de présenter des femmes puissantes et dangereuses pour être féministe ? Dans ce cas, l'époque moderne était une époque sacrément féministe, avec toutes les sorcières qu'elle a brûlées ! Non, de tous temps, les hommes, incapables de comprendre les mystères de la maternité, ont prêté aux femmes des pouvoirs magiques ; particulièrement aux femmes qui échappaient à la domination masculine, les « vieilles filles ». Il n'y a qu'à se souvenir des contes pour enfants : pas de sorcier chez Blanche-Neige ou dans la Belle au Bois dormant, mais toujours des sorcières, des femmes seules, vieilles, aigries et souvent jalouses.

La sorcière de Tim Burton, après avoir été rejetée par son amant, passe deux cents ans dans la haine et la vengeance, avec pour seul objectif de détruire la famille et les réalisations de celui qui l'a blessée.
Pas de féminisme chez ce personnage : c'est une femme aigrie et jalouse qui se venge par les moyens qu'on a toujours prêtés aux femmes : le mal, les sortilèges, la fourberie, les alliances avec les forces des ténèbres. C'est un personnage des plus classiques.

Passons à présent sur la dite famille du héros. Une mère, une fille, une psychologue pour venir en aide à un neveu traumatisé. La mère montre du courage et de la détermination, mais il est clair qu'elle n'a pu empêcher la ruine de l'entreprise et du manoir familiaux, qui ne peuvent se redresser que lorsque le héros – un homme – vient reprendre les choses en main. Sa fille est – à peu de choses près – une adolescente tout ce qu'il y a de plus typique, qui traîne les pieds, s'enferme dans sa chambre, et joue à l'occasion à être insolente. Elle n'a d'ailleurs qu'un rôle mineur, tout comme la psychologue.

Enfin, le « vrai amour » du héros. La jeune fille douce, innocente et naïve. Tout au long du film, on apprendra très peu de choses sur Victoria, la jeune gouvernante, sur son passé comme sur son caractère. Elle est en fait l'exacte opposée d'Angelique, la sorcière : l'une est mûre, a déjà vécu deux cents ans et est plutôt du genre femme fatale ; l'autre est fraîche, jeune, inexpérimentée et d'une « beauté qui s'ignore ». L'une est dure, puissante et il faut s'en protéger ; l'autre est douce, docile et doit être protégée. L'une incarne le stéréotype de la femme jalouse et dangereuse, l'autre le cliché de l'éternel féminin.

Il faut à tout prix se méfier de la femme indépendante. Le héros ne tombera pas amoureux de la puissante mais maléfique Angelique (lui-même étant un vampire, il égorge régulièrement des bandes d'ouvriers ou de jeunes mais contrairement à la sorcière, il reste dans le camp des gentils) ; il lui préfèrera la jeune fille innocente et à peine sortie de l'adolescence, pour qui il aura le coup de foudre dès le premier regard ; c'est dire si le caractère ou l'esprit de Victoria ont la moindre importance.
Non, le personnage de Victoria est loin de marquer par sa profondeur et ne donne certainement pas au film un aspect féministe.

Alors quoi, Dark Shadows, film sexiste ? Non. C'est un film agréable dans lequel il ne faut pas essayer de voir plus que ce qu'il offre : une démonstration de talent, une succession de scènes magnifiquement bien tournées et mises en scène, un scénario prétexte au burlesque et à une gentille épouvante, une poésie (surtout visuelle) caractéristique de Tim Burton et de bons acteurs qui se font visiblement plaisir. Mais ce n'est certainement pas un film féministe.

vendredi 11 mai 2012

Hollaback !


Récemment, j'ai découvert le mouvement Hollaback! qui invite chacun-e à témoigner du harcèlement dans l'espace public. Partout dans le monde (en France, en Argentine, en Belgique, au Canada, au Chili, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud...), des sites recueillent et localisent des témoignages, très majoritairement de femmes qui se sont fait harceler dans la rue.

L'idée est de permettre aux victimes de harcèlement (principalement les femmes et les membres de la communauté LGBTQ) de trouver du soutien mais également de sensibiliser le plus grand nombre de ce phénomène. Egalement intéressant, le site dénonce des mythes et des idées reçues, notamment sur le plaisir secret des femmes qui se font harceler dans la rue ou encore leur tenue vestimentaire. Enfin, il donne des conseils pour réagir au harcèlement – le sien ou celui d'autres – et pour lutter contre la « participation des spectateurs »

Le harcèlement des filles et des femmes dans la rue est un phénomène tellement courant qu'il m'a fallu longtemps avant de réaliser que ce n'était pas normal et que je n'avais pas à accepter ça. Ca peut commencer quand on a dix ou onze ans et prendre des formes très diverses : des sifflets, des insultes, des regards insistants, des commentaires (positifs ou non, ce n'est même pas la question) sur ses fesses, ses seins, ses cuisses... et puis plus grave, des commentaires salaces, des gestes déplacés, de l'exhibitionnisme, voire des comportements inquiétants (certains suivent la personne qu'ils harcèlent, essaient de la prendre dans leurs bras, de l'embrasser...). Et une fois que ça a commencé, on en a pour des dizaines d'années à se sentir une intruse dans l'espace public. Et on se résigne à se dire que certains hommes sont comme ça et qu'il faut accepter cette situation.

Je ne suis pas d'accord. Quand j'ai découvert ce site, ma première réaction a été : « Bonne initiative, je vais témoigner, moi aussi ! »
Et puis j'ai eu un moment de perplexité.
D'accord, mais qu'est-ce que je raconte ? La fois où un homme s'est exhibé devant moi quand j'avais onze ans, ou celui qui l'a fait à côté de moi dans le métro ? L'homme qui travaillait sur mon trajet de la maison au lycée et qui me harcelait tellement que j'ai du faire un détour pendant six mois ? Les fois où j'aurais voulu être invisible ou discrète comme une souris en passant devant des chantiers ? L'homme qui m'a suivie jusqu'à chez moi discrètement ? Les trois qui ont essayé, après cinq minutes à discuter, de me prendre dans leurs bras et de m'embrasser ? Les dizaines de mecs qui m'ont traitée de pute ou de salope ou m'ont fait subir des remarques toutes plus vulgaires les unes que les autres ? Les jugements sur mes fesses, mes seins, mes hanches, ma taille... ?

On a toutes des histoires comme ça. Les espaces publics, la rue, la nuit appartiennent toujours aux hommes et quand on se risque à envahir un univers qui n'est pas le nôtre, on doit accepter de subir ce harcèlement constant, humiliant et parfois même effrayant. Ca suffit !

Des initiatives comme Hollaback! ne changeront peut-être pas la face du monde ; mais chaque fille, chaque femme qui découvrira en lisant ces témoignages qu'elle n'est pas seule et que ce harcèlement n'a rien de normal ni d'acceptable, chaque passant qui interviendra dans ce genre de situation pour protéger la victime, chaque personne qui réalisera que son comportement dépasse les bornes sera une petite victoire.

Et la prochaine fois qu'on assiste à du harcèlement dans la rue, à nos réactions ! 

vendredi 4 mai 2012

Pourquoi haïssez-vous notre corps ?


Pourquoi est-ce que vous haïssez le corps des femmes ?
Pourquoi est-ce que vous haïssez votre propre corps ?
Pourquoi est-ce que vous apprenez à vos filles à haïr leur corps ?

Voilà les questions qui me travaillent ces temps-ci. On pourrait croire que dans notre société, qui affiche des corps de femmes partout dans les médias, les séries, les films, la publicité, la photo... honore et admire ce corps féminin.
Je vous le dis : c'est faux.

Elle le hait, ce corps ; elle traque ses moindres imperfections, elle le torture, elle le modèle pour qu'il ne se ressemble plus et qu'il atteigne une perfection qu'elle a arbitrairement choisie. Aujourd'hui, le corps féminin doit être fin mais avec des rondeurs aux fesses et aux seins ; le ventre doit être plat ; les seins doivent être hauts ; la peau doit être lisse, sans peau d'orange ni cellulite ; elle doit être intégralement épilée. Bref, le corps d'une femme ne doit surtout pas ressembler... au corps d'une femme. On attend des femmes aujourd'hui qu'elles ressemblent à des fillettes !
Et la perfection étant par nature inatteignable, le corps des femmes est voué à n'être qu'un échec dont on souligne les imperfections ; les femmes sont condamnées à considérer, à travers le regard de la société, leur corps comme éternellement imparfait. Et, bien sûr, périssable, comme nous l'avons vu précédemment (« C'est un fait, les femmes vieillissent plus mal ! »).

Il est indéniable que le corps des femmes – ou plutôt une certaine vision du corps des femmes – est sous les projecteurs de la société. Corps presque nus pour vendre tout et n'importe quoi dans la publicité, héroïnes systématiquement jeunes et belles, photos retouchées pour amincir des hanches, gonfler des seins...
Dans les films et séries, 99% des femmes sont non seulement jeunes et belles, mais elles incarnent des personnages qui allient compétence et allure soignée, classe, apprêtée. Dans les séries policières, par exemple, les femmes de terrain, qui découvrent des scènes de crime dans les bois, qui procèdent à des arrestations musclées... sont toujours perchées sur talons aiguille. Bien entendu, je n'avais jamais pensé à l'utilité des escarpins pour marcher dans la boue ou courir après des criminels !

Le film We want sex equality qui présente la lutte des ouvrières de l'usine Ford à Dagenham (Angleterre) pour obtenir l'égalité des salaires au printemps 1968 ; c'est un film plein de bonne humeur qui présente une lutte saine, alliant femmes et hommes contre une injustice flagrante et révoltante. Mais les ouvrières du film sont toutes jeunes, belles, fraîches, fines aux jambes galbées ; elles portent des robes courtes, des minijupes, des décolletés plongeants, des escarpins (encore !) et vont clubber après le travail ! Le générique présente des photos d'époque des femmes qui ont réellement mené cette lutte à Dagenham en 1968. Laissez-moi vous dire qu'elles ne ressemblaient pas à leur représentation dans le film.
Alors quoi ? Il est impensable de montrer au cinéma ou à la télé des femmes qui ne sont plus jeunes et qui ont été marquées par le poids de leur vie, d'un travail dur et physique ? Inconcevable d'avoir des héroïnes qui n'ont pas le souhait ou pas le temps de passer des heures à se lisser les cheveux, se poudrer le visage, se farder les paupières ? Qui trouvent un pantalon et des baskets plus pratiques pour travailler que la mini-jupe et les escarpins ? Ces femmes courageuses ont risqué beaucoup pour une cause juste ; elles méritaient que le film censé leur rendre hommage mettent l'accent sur leur courage et ne juge pas leur apparence physique indigne du cinéma.

Bien pire que ces exemples, les exigences de perfection pour le corps féminin sont aujourd'hui de plus en plus précoces. On connait les histoires de talons hauts, soutien-gorge, strings ou centres de beauté pour fillettes, ou les concours de mini-miss. Ils font encore relativement scandale... mais ils existent. Et se développent.

Les exemples de cette surmédiatisation d'un corps féminin fantasmé (qui n'est même pas celui des femmes dont l'apparence est le métier, puisque même leurs photos sont retouchées) sont nombreux ; et les conséquences également. Les femmes portent aujourd'hui trois casquettes : pour arriver au même niveau professionnel que les hommes, elles doivent être deux fois plus compétentes. Chez elles, elles assument encore 80% des tâches ménagères et tout ce qui a trait au foyer et à l'enfance leur est bien entendu dévolu. Et comme si tout ça n'était déjà pas suffisant, tout ce qui les entoure leur rappelle qu'elles ne sont pas de vraies femmes tant que n'ont pas les yeux maquillés, les escarpins chaussés et le maillot épilé. C'est une pression qui peut être très lourde à porter. Qui conduit beaucoup de femmes à se juger au travers de ce que la société pense de leur corps... et à se haïr elles-mêmes.
Aujourd'hui, des hôpitaux voient arriver des fillettes de neuf ans anorexiques. A neuf ans, elles se sont trouvées trop grosses et ont décidé de faire un régime qui les a conduit à se mettre en danger. Les communautés « pro-ana » (pro-anorexie) se développent sur internet, avec astuces, conseils et culpabilisation à la clé. Les médias, les publicités, les séries, le cinéma et tous ceux qui font l'apologie d'un corps féminin sans défauts portent la responsabilité collective des risques que prennent ces filles.

Une mère qui avait inscrit sa fille à un concours de beauté expliquait que ça lui apprenait à avoir confiance en elle. Non, madame. Vous lui apprenez à juger sa propre valeur non seulement uniquement à l'aune de son physique mais aussi à travers le regard des autres ; vous lui apprenez à ne s'estimer que comparativement aux autres filles avec qui elle concourt ; vous lui apprenez, enfin, à traquer les moindres défauts et imperfections de son corps dans une quête perdue d'avance et qui pourrait même la conduire à se mettre en danger. Bref, vous lui apprenez à se haïr.

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