vendredi 27 avril 2012

C'est un fait, les femmes vieillissent plus mal !


Un argument que j'entends régulièrement au sujet de la disparition du « mademoiselle » des formulaires administratifs (disparition qui n'a pas fini de faire parler les aigris), c'est : « Mais c'est flatteur de se faire appeler mademoiselle ! »
Et de continuer : mademoiselle, c'est la légèreté, c'est la fraicheur, c'est la jeunesse !

C'est amusant ; pour moi, c'est plutôt l'inverse. Quand un médecin que je vois pour la première fois, parce que je n'ai pas l'air d'avoir mes vingt-huit ans, m'inscrit d'office à « mademoiselle », m'appelle par mon prénom et me parle comme à une adolescente attardée, ça m'agace. Ca ne me flatte pas.

Et puis quoi, nous, les femmes, nous devrions avoir honte de vieillir ? Nous devrions cacher notre âge ?
Certes oui ! répond la société. Chez un homme, l'expérience est attirante. Chez une femme, c'est la jeunesse et « l'innocence ». D'ailleurs, « on ne demande pas son âge à une dame ».
Mademoiselle, c'est flatteur, parce qu'une femme se fane avec l'âge. Et puis, « c'est un fait » : les femmes vieillissent plus mal que les hommes !

Faites le test autour de vous : vous n'en reviendrez pas du nombre de personnes qui sont persuadés de cette idée et qui la présentent comme un fait. Peut-être en êtes vous vous-mêmes convaincus ; je l'ai été, moi-même, et j'ai même répété ces clichés et ces idées reçues.

La beauté est un concept subjectif. Les critères qui font qu'une femme ou un homme sont considérés belle ou beau sont très variables selon les cultures, selon les époques. Au Moyen-Âge, on valorisait les rondeurs, les formes enveloppés, les cheveux blonds, le teint très pâle. Aujourd'hui, le ventre des femmes se doit d'être plat et non arrondi, le teint hâlé et non clair. Et puis il y a la pure beauté plastique du corps, du visage, et le charme, encore plus subjectif. Ma grand-mère était une très belle jeune femme ; à bientôt quatre vingt-cinq ans, elle n'a certes plus le corps souple d'une jeune fille de dix-huit ans, mais elle est toujours très belle. La beauté, finalement, est dans les yeux de celui qui regarde.

Et qui a décidé, donc, que les femmes vieillissaient plus mal que les hommes ? La vieillesse blanchit les cheveux et ride la peau des hommes comme des femmes. Et si les seins et les hanches des femmes s'alourdissent avec l'âge, les hommes prennent du ventre et perdent leurs cheveux. En quoi est-ce plus désirable ? Trouvez-vous réellement que Robert, du bar PMU, avec sa ceinture de bière et son crâne dégarni, a mieux vieilli que Sharon Stone ou Madonna ?
Alors pourquoi juge-t-on avec plus d'indulgence l'âge d'un homme que l'âge d'une femme ?

J'y vois plusieurs raisons. Sur un homme, on juge en grande partie le charme. Et le charme ne se tarit pas avec l'âge, au contraire : les cheveux poivre et sel, le visage qui commence à se marquer, tout ça apporte la preuve que l'homme a vécu, qu'il a de l'expérience ; chez un homme, c'est séduisant. Georges Clooney n'a certainement plus le corps d'un jeune de dix-huit ans, lui non plus, mais il est resté très longtemps considéré comme l'homme le plus sexy de la planète. Et effectivement, il a beaucoup de charme.
Chez une femme, dans notre société, la beauté ne se limite pas au charme. Le corps a plus d'importance que chez un homme. On se doit d'être sexy, d'avoir des formes parfaites, le corps entièrement épilé... Les standards sont bien plus élevés que chez les hommes ; et bien sûr, ils résistent moins au temps. Et contrairement aux hommes, les marques des ans n'ajoutent pas au charme des femmes au regard de la société. D'une part, on attend des femmes qu'elles n'aient pas trop d'expérience (en termes de partenaires sexuels, par exemple). D'autre part, les femmes sont toujours très liées à leur fonction reproductrice, à leur rôle consistant à porter les enfants ; la féminité – de même que la virilité – est encore largement liée à la capacité à procréer. Et c'est une capacité qui disparait avec l'âge.

Une femme qui vieillit et qui ne peut plus avoir d'enfants, ça dérange, ça inquiète – d'autant plus quand c'est une femme qui n'a jamais eu d'enfants. On ne sait plus bien où la classer ; c'est un être hybride : certainement pas un homme, mais pas non plus tout à fait une femme.

Nous considérons que les hommes « vieillissent mieux » que les femmes, parce que nous avons été habitués à voir le monde d'une certaine façon. Nous sommes habitués à considérer que les hommes doivent être mûrs tandis que les femmes doivent être fraîches, qu'elles sont liées à leur fonction de reproduction, qu'elles doivent être parfaites des pieds jusqu'à la tête et n'avoir aucun des défauts qu'on pardonne aux hommes. En fait, nous considérons que les hommes vieillissent mieux que les femmes parce que, tous autant que nous sommes, nous sommes habitués à voir le monde par les yeux d'un homme.

En ce qui me concerne, j'ai l'audace de penser que je suis autre chose qu'un utérus et que je suis également plus que les lignes de mon corps. Je suis ce corps, évidemment ; mais je suis également toutes mes qualités et tous mes défauts, je suis tout ce que j'ai vu et vécu, y compris ce que j'aurais préféré ne pas vivre et voir. Mes expériences me forgent et me façonnent et je compte bien ne jamais en avoir honte et ne jamais cacher mon âge.

Et s'il y a bien une chose qui ne me flatte pas, c'est qu'à vingt-huit on me traite comme si j'en avais seize !

lundi 23 avril 2012

IVG de confort et autres absurdités

Dans le contexte des élections présidentielles qui arrivent, on entend énormément de choses sur l'avortement : en dehors de propositions de le dérembourser, certains parlent d'avortement de confort, estiment qu'il y a trop d'IVG, que c'est traumatisant ou arguent qu'il faut « défendre la vie » (celle de l'embryon, jamais celle de la mère). Ceux-là disent qu'il faut « accompagner » les femmes qui avortent, qu'il faut écouter leur souffrance. Tout en les obligeant à garder ce bébé dont elles ne veulent pas.
J'ai également lu l'appel d'une femme de 32 ans qui ne parvient pas à trouver de chirurgien acceptant sa demande de se faire stériliser, et les commentaires la qualifiant d'égoïste, égocentrique, et bien pire.

Le corps des femmes, la maternité ou le refus de devenir mère n'en ont pas fini de faire couler de l'encre, de faire parler ceux qui ne sont pas concernés... et d'échapper aux femmes. Refuser la stérilisation aux femmes qui la choisissent, proposer de dérembourser l'IVG (et donc en nier l'accès à celles qui n'en ont pas les moyens), c'est vouloir les déposséder de leur corps.

C'est nier ce que peut représenter une grossesse pour une femme, à plus forte raison une grossesse non désirée. Sans même aborder les conséquences de la naissance d'un enfant (qui sont évidentes, qu'on l'abandonne ou qu'on le garde), une grossesse n'est pas un acte anodin. Du fait des progrès de la médecine, on le minimise aujourd'hui, on en nie les risques et les conséquences possibles. « Ce n'est pas une maladie! ». Non. Et effectivement, la plupart du temps, les choses se passent bien. Mais pas toujours.
« Comment est-ce qu'elles faisaient, les femmes, avant ? ». Elles mouraient en couches.

La grossesse peut être un beau moment ; la femme enceinte peut être radieuse et épanouie, bien sûr. Et on veut nous faire croire que ça se passe toujours de cette façon, que nous pouvons toutes vivre ces grossesses épanouies. Mais c'est faux : toutes les grossesses ne se déroulent pas bien, toutes les grossesses ne sont pas sans risques. Aujourd'hui, des femmes meurent encore en couche. Des grossesses peuvent avoir des conséquences lourdes : sciatique, diabète, osthéoporose... Psychologiquement, ce n'est pas non plus anodin. Des femmes, après avoir eu un enfant qu'elles désiraient et qu'elles aiment, préfèrent ne pas allaiter parce qu'elles sentent de le besoin de se « réapproprier leur corps ».

La grossesse est un sacrifice. Beau s'il est fait avec amour, tragique s'il est imposé. C'est pour ça que la femme doit être la seule à prendre cette décision, et que personne ne doit pouvoir leur imposer.

Non seulement c'est inique, mais en plus vouloir déposséder les femmes de leur droit à contrôler leur corps, c'est multiplier les tragédies. On en connait les conséquences ; l'Histoire nous les apprend. Qu'on pense à toutes ces femmes qui sont mortes en couches. A toutes celles qui ont eu quinze, seize enfants et qui ont vécu dans l'esclavage d'une grossesse quasi-permanente. A celles qui étaient tellement désespérées qu'elles faisaient appel aux « faiseuses d'anges », aux aiguilles à tricoter. Ou qu'elles se jetaient dans les escaliers, préférant risquer leur propre vie plutôt que de se soumettre à cette servitude. Ces femmes de tous les peuples, de tous les pays, mariées ou non, jeunes ou non, parfois victimes de viol ou à peine remises de l'accouchement précédent... ces femmes épuisées, effrayées, qui devaient se terrer dans l'ombre et prendre des risques pour essayer de se libérer...

Comment peut-on vouloir en revenir là ? Comment peut-on prétendre défendre la vie quand on défend l'embryon au détriment de la mère ?
Les femmes ont toujours avorté, et elles avorteront toujours. Aucun « accompagnement » dans un sacrifice qu'on leur impose ne pourra les sauver ; la seule chose qu'il peut les sauver, c'est de ne pas porter une vie qu'elles refusent. Il reste deux choix : leur permettre de faire ce choix dans des conditions dignes, ou les obliger à risquer leur vie. Et bien entendu, permettre à celles qui ne voudront jamais d'enfants de se faire stériliser, comme elles en ont le droit.

jeudi 5 avril 2012

Martine et Sarkozy

En ce contexte d'élections importantes en France (les présidentielles suivies des législatives), je suis forcée de relever une tendance qui m'agresse les oreilles à chaque discussion politique et fréquemment à la lecture d'articles.

Il est indéniable qu'en France, la sphère politique reste majoritairement masculine. Depuis que j'ai commencé à m'intéresser à la politique – à l'adolescence, pendant l'élection présidentielle de 1995 – jusqu'à nos jours, les gouvernements, ministères, l'assemblée, les interventions, les discours, les débats... sont majoritairement présidés par des hommes d'âge mûr en costume sérieux et soigné. Les femmes qui se fraient un passage dans cet univers à la force du poignet font figure d'exception, non de représentation du sexe féminin.
Si elles ont réussi à se hisser à ce niveau, c'est qu'elles sont autant, si ce n'est plus, compétentes que leurs homologues masculins. Et pourtant, elles ne jouissent pas de la même représentation auprès des médias ou après du public ; leur qualité de femme les place dans une catégorie à part, qui se manifeste de deux façons principales : la manière dont on parle d'elles, et l'importance accordée à leur physique et surtout à leur allure.

Aujourd'hui, c'est cette première différence qui m'intéresse. La façon dont, par le langage, on marque une frontière entre les hommes et les femmes politiques ; la façon dont on les nomme.
Sur la scène politique se sont succédés des Chirac, Jospin, Sarkozy, Mélenchon, Hollande, Besancenot, Hortefeux, Copé, etc. Mais également des femmes : Ségolène, Marine, Martine, Arlette, Rachida, Edith...
Avez-vous déjà remarqué cette tendance ? Avez-vous noté que, sans que – bien entendu – ce soit systématique, si on nomme toujours les hommes politiques par leur nom de famille, on utilise facilement le prénom pour les femmes ? Même celles qu'on nomme par leur nom, il est rare qu'on n'utilise pas également leur prénom : Rama Yade, Christine Boutin, Nathalie Artaud.
La parodie du « J'accuse » d'Emile Zola (qui doit se retourner dans sa tombe) par Frederic Lefebvre à l'occasion de l'affaire Woerth est un parfait exemple de cette tendance. Dans son texte, les hommes politiques, quel que soit leur parti, sont désignés par leur nom de famille ; toutes les femmes par leur prénom. La seule qui a le droit à son nom de famille, c'est Marine Le Pen... Mais « Frédéric » a bien pris soin de mettre ce nom entre parenthèses ! Ah, je pourrais disserter pendant des heures sur cette lamentable utilisation des parenthèses...

Ce qui est fascinant, c'est de constater que ces prénoms sont utilisés dans deux cas de figure : par les militants, et par les détracteurs. L'utilisation par les détracteurs tend évidemment à diminuer la femme politique en la maintenant dans une minorité symbolisée par le prénom : ce sont les enfants qu'on appelle par leur prénom. Appeler les femmes politiques par leur prénom, c'est les infantiliser, c'est leur nier la maturité et les compétences suffisantes pour gouverner.
Dans l'autre cas de figure, l'utilisation du prénom crée une proximité factice avec la femme politique qu'on soutient. Ce qui est intéressant, c'est qu'on n'utilise pas – ou très peu – ce procédé avec les hommes politiques : la sphère de l'intime, du relationnel, de la proximité est réservée aux femmes. Quel que soit le niveau de pouvoir que ces femmes aient atteint.

Dans les deux cas, l'utilisation du prénom marque une séparation nette entre les femmes et les hommes politiques et différencie la façon dont on les considère. Consciemment ou non : j'ai souvent entendu des féministes utiliser ce prénom pour parler de femmes politiques, sans y prendre garde.
Les mots ont une importance, les mots ont un sens, comme je l'ai déjà soutenu lors de la campagne « Mademoiselle : la case en trop ». Même – surtout – ceux qu'on utilise inconsciemment, par habitude. Alors faisons attention aux mots qu'on utilise ; accordons le même respect, le même traitement aux femmes et aux hommes politiques, en commençant par la façon dont on les nomme.
Ce serait un premier pas vers un univers politique moins masculin ou, du moins, moins violent envers les femmes qui s'y risquent.