vendredi 30 novembre 2012

« Je ne suis pas féministe, mais... »


Voilà une phrase que j'entends sans arrêt, en ce moment. Comme un espèce de mantra qu'on répèterait pour se protéger des mauvais esprits.
Il faut dire que quand je me présente ou que « j'avoue » (ce sont les crimes qu'on avoue, non ?) que je me revendique « féministe », j'ai toujours l'impression d'avancer en terrain miné. J'ai toujours l'impression de devoir me justifier, m'excuser, et gare à moi si je coupe le fil bleu à la place du fil rouge ; c'est l'explosion assurée.

Alors je voudrais rassurer la jeune génération dont je fais partie et qui a l'air de croire que le féminisme est une sorte d'insulte, un mouvement agressif et identitaire (une sorte de racisme ?) voire une maladie contagieuse.
NON, être féministe n'est pas une tare. NON, ce n'est pas un désir de revanche ou une soif de guerre. C'est une recherche de paix et de respect, au contraire.
Il y a un test très simple, qui consiste en deux questions :
Est-ce que vous considérez que tous les êtres humains sont égaux en droits ?
Est-ce que vous considérez que les femmes sont des des êtres humains ?
Oui ? Bravo ! Vous êtes féministe !

C'est évidemment un test réducteur et il y a des milliers de féminismes différents, et pourtant c'est un bon résumé : le féminisme, c'est chercher l'égalité des droits pour les femmes et pour les hommes, et le respect entre les sexes. Le féminisme, c'est l'humanisme tout simplement.

Partant de là, ce que je trouve effrayant, ce n'est pas de se dire féministe, c'est au contraire d'oser affirmer : «  Je ne suis pas féministe ». Ah bon ? Tu es contre l'égalité des sexes ? Intéressant. J'imagine mal quelqu'un affirmer « Je ne suis contre le racisme », étonnamment.

Alors voilà une liste de raisons pour lesquelles on peut, qu'on soit femme ou homme, être fier de se revendiquer féministe :
- D'abord, c'est une belle façon de rendre hommage aux féministes qui nous ont précédé-e-s. Me revendiquer féministe, c'est dire que je sais grâce à qui j'ai aujourd'hui le droit de vote, l'accès à la contraception, la possibilité d'avoir un salaire et un compte en banque à mon nom propre, le choix de qui j'épouse (ou non), la maîtrise de mon corps, bref, la reconnaissance de ma dignité d'être humain. Toutes ces choses qui sont aujourd'hui des droits mais qui, hier encore, étaient des privilèges interdits aux femmes. L'héritage de ces femmes et des hommes, je le porte et je le revendique fièrement.
- Dans le monde, d'après l'ONU, 1 femme sur 3 sera violée, battue ou tuée par un homme, généralement son compagnon. En France, 75 000 femmes sont violées chaque année ; une minorité de violeurs sont condamnés. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. La misère et la précarité ont une visage de femme. Les tâches ménagères sont effectuées à 80% par les femmes. Les parents célibataires sont à 90% des femmes. L'écart de salaire, à travail et compétences égales, reste de 10% entre hommes et femmes. Une femme qui a la trentaine ne peut pas aller en entretien d'embauche sans craine la question redoutable, à laquelle toutes les réponses sont fausses : « Et vous comptez avoir des enfants ? ». L'Assemblée nationale n'est toujours composée que de 26% de femmes et les expertes interrogées par les grandes chaines de télé restent marginales. Bref, on peut raisonnablement dire que la route est encore très longue avant de parvenir à l'égalité effective. Donc, n'en déplaise à Carla Bruni, que nos générations ont encore besoin du féminisme.
- Une étude, effectuée dans 40 pays pendant 30 ans a démontré que le facteur principal dans la réduction des violences contre les femmes n'est pas le fait d'avoir un dirigeant féminin, un parlement paritaire ou un gouvernement de telle ou telle tendance ; c'est la présence et l'implication des associations féministes. Cette violence est toujours endémique ; par conséquent, l'action féministe est toujours vitale. Au sens propre du terme.
- Le féminisme n'a jamais tué personne ; le machisme tue tous les jours.
- … Et tant d'autres !

jeudi 8 novembre 2012

Sacrifiées pour les autres

Ce soir, je suis furieuse. Réellement furieuse.
Furieuse, parce que je lis, comme argument pour contrer l'idée de pénaliser les clients de la prostitution, que "Depuis la pénalisation du client en 1999, les violences sexuelles sont en constante progression en Suède."
Comme si viol et prostitution avaient un lien quelconque.

Cette idée m'écoeure, et à plus d'un titre.
Partons d'abord du principe que ceux qui utilisent cet argument ont raison. Que les violences sexuelles ont augmenté depuis la pénalisation du client en Suède, et qu'il y a un lien entre les deux.
Est-on censés accepter, dans une société du XXIème siècle, qu'une partie de la population soit offerte en sacrifice pour protéger les autres ?! Oublie-t-on que les personnes prostituées sont, elles aussi, victimes de viols à répétition et de violences inacceptables ?
L'idée, ignoble, qui se cache derrière cet argument, c'est qu'il y a deux catégories de femmes : les femmes "normales" et les prostituées. Qui peuvent plus que les autres supporter les violences masculines, qui peuvent être offertes en holocauste pour préserver les autres. Cette idée était répandue au Moyen Âge. Les prostituées étaient tolérées en ville, parce qu'ainsi elles préservaient du pêché les femmes "honnêtes". Depuis cinq cents ans, les droits de l'humain ont largement progressé. Mais cette idée n'a pas bougé d'un poil. D'ailleurs, en France, quand une joggeuse est assassinée, l'information fait la une des journaux. Quand une prostituée est assassinée, c'est comme si elle ne méritait pas une ligne.

Un autre raison pour laquelle cet argument me hérisse, c'est qu'on fait à nouveau porter la responsabilité du crime à la victime. Il y a des hommes qui violent ? Il faut leur fournir un exutoire pour éviter qu'ils ne violent des femmes "convenables" ! Surtout, ne nous posons pas de questions sur l'éducation que la société propose aux garçons. Ne remettons pas en cause les injonctions qu'ils reçoivent dès leur petite enfance pour apprendre à "être un homme" ("ne pleure pas", "sois un homme", "défends-toi"...), à cacher leurs émotions et à se sentir supérieurs aux filles ("tu pleures comme une fillette !", "t'es une petite fille ou quoi ?"...). Non, plutôt que d'apprendre aux hommes à ne pas violer, apprenons aux femmes à avoir peur et à accepter qu'on en offre d'autres en sacrifice.

Et enfin, ce qui m'agace dans cette "analyse", c'est qu'on nous présente deux faits séparés, sans aucune preuve qu'il y a un lien entre les deux. Ou que le lien est bien celui qu'on nous présente. En France, seules 10% des victimes de viol portent plainte. En Suède, une politique d'éducation non-sexiste est en place depuis plus trente ans. Qui peut dire que si le nombre de viols rapportés augmente, ce n'est pas parce que la parole des victimes est plus respectée qu'en France et donc plus libérée ? A-t-on déjà oublié la monstrueuse affaire des viols en réunion de Créteil et les insultes qu'ont subies les deux victimes ? Et les 40 viols par jour que subissent les prostituées, leurs plaintes qui ne sont presque jamais écoutées par la police ? Comme il est simple de faire baisser les statistiques en méprisant la parole des victimes !

On veut nous faire croire que la politique de l'abolition de la Suède est un fiasco. Qu'on aille constater la situation à Amsterdam où les femmes sont exposées en vitrine et où, malgré la légalisation de la prostitution, seuls 2% des personnes prostituées se disent satisfait-e-s de leur travail.

Qu'on pense encore à un simple fait : le rappot Global Gender Gap, basé sur l'égalité hommes - femmes en termes de salaires, d'accès à la santé, à l'éducation et de représentation en politique, classe la Suède 4ème après l'Islande, la Finlande et la Norvège. Trois pays pénalisant les clients.
La France ? 57ème.

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