mercredi 28 mars 2012

8 mars 2012 : un grand cru !

 
Enfonçons une porte béante : la télévision (que ce soit à travers les émissions ou la publicité) est un univers éminement sexiste. L'émission Le Grand journal ne fait pas exception à la règle. Parmi les présentateurs et chroniqueurs, deux figures féminines : une miss météo différente chaque année et dont le rôle consiste à être jolie, sexy et ingénue et une chroniqueuse qui est censée poser les questions « féminines », manquant généralement d'intérêt, de profondeur et de pertinence.

Le 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, Ariane Massenet a encore frappé. Elections présidentielles oblige, la première partie du Grand journal est consacrée aux candidats à la charge suprême. Au lieu d'inviter les candidates potentielles à la présidentielle (qui étaient nombreuses : Eva Joly, Marine Le Pen, Nathalie Artaud, Corinne Lepage), l'émission a préféré les seconds rôles : les porte-parole des deux candidats principaux, Najat Vallaud-Belkacem et Nathalie Kosciusko-Morizet. Soit.

Les chroniqueurs interrogent donc et confrontent ces deux femmes, qui font preuve de leur intelligence et de leur compétence, puis vient le tour d'Ariane Massenet : et là, c'est le drame !
Car la chroniqueuse s'est mise en tête pour « la journée de la femme » (comme si « la » femme, en tant qu'unité, existait ou avait le moindre sens) de poser à ces deux femmes des « questions de fille », pour essayer de déterminer « la part de féminité des deux candidats ».

S'ensuit alors une série de questions plus désespérantes les unes que les autres : sont-ils galants ? Ont-ils des doutes ? Là, on grince des dents. Seules les femmes ont des doutes ? Seules les femmes sont attentionnées ?
On n'est pas au bout de nos peines, pourtant. Questions suivantes : est-ce qu'ils font attention à leur ligne ? Est-ce qu'ils se font des colorations ? Là, les deux porte-parole commencent à protester. Kosciusko-Morizet : « Je ne sais pas, et ça ne m'intéresse pas. » Vallaud-Belkacem : « Ce n'est pas compris dans la fiche de poste de porte-parole. »
Ariane Massenet continue sans se laisser émouvoir, sans peut-être réaliser le cynisme qu'il y a à se servir de la journée pour les droits des femmes pour renvoyer deux femmes intelligentes à la sphère domestique. Elle poursuit. Est-ce qu'ils vont souvent chez le coiffeur ? Est-ce qu'ils boivent du coca light, du coca zéro ?
Là, Kosciusko-Morizet n'y tient plus : « Non mais, je parle pour nous deux là, on a un cerveau vous savez ». Et d'expliquer que ce serait plus intéressant d'aborder le programme de leurs candidats. Et pendant que Denisot, gêné, envoie rapidement le zapping, on entend Massenet qui se justifie : « Non mais c'était des questions de fille ! »

J'en viens à me demander ce qui est le plus consternant dans cette émission et dans ces questions. Inviter les seconds rôles féminins plutôt que les candidates ? Qualifier les deux porte-parole de « filles » (vous imaginez qualifier Hollande ou Sarkozy de « garçons » ?) ? Insulter l'intelligence de ses invitées en leur posant des questions ridicules, pour la seule raison qu'elles sont des femmes ? Considérer que le doute, le régime, l'attention à son physique sont non seulement des questions féminines mais qu'elles doivent en plus intéresser toutes les femmes ? Ou faire un pied de nez à la journée internationale pour les droites des femmes en renvoyant deux femmes qui ont réussi à la superficialité des clichés féminins ?
Le tout ensemble, sans doute.

Je dis toujours que, quelles que soient les polémiques autour de la pertinence de la journée du 8 mars, elle permet au moins une chose : elle déchaîne la mysoginie des uns et des autres, nous rappelle qu'il y a du pain sur la planche et nous montre où se niche le sexisme ordinaire.
Il est là, le sexisme ordinaire. Chez les chroniqueuses qui enferment les femmes dans un « éternel féminin » de douceur, de fragilité et de superficialité. Chez les grands quotidiens qui proposent aux femmes de gagner des « heures de ménage ». Chez ces émissions qui n'ont cessé de marteler, ce 8 mars, que le meilleur ami des femmes, en ce qui concerne les tâches ménagères, c'est l'électro-ménager (en 2012, visiblement, on ne peut toujours pas parler à voix haute de « répartition des tâches » ; ça doit être vulgaire). Chez tous ceux qui se lamentent de la mort programmée du « mademoiselle » sur les documents administratifs, parce que mademoiselle, « c'est joli, c'est la légèreté, c'est flatteur pour une femme qui vieillit » (car nous sommes tenues de nous apprécier par le regard des hommes, et d'avoir honte de vieillir s'il vous plait). Et j'en passe.

Grâce à Mme Massenet et aux autres, le 8 mars 2012 a encore été un grand cru. La route est longue... ne reste qu'à la parcourir et aller de l'avant !

vendredi 9 mars 2012

La solution de facilité

Au fil de discussions numériques ou physiques sur le féminisme où je me heurte régulièrement à des murs d'incompréhension ou à un rejet épidermique, je me pose souvent la question : pourquoi ? Qu'est-ce qui, dans cette quête d'égalité entre les sexes, parait si terrifiant à ces femmes et à ces hommes ?
La question me laisse d'autant plus perplexe quand ce sont les femmes qui sont réticentes (et elles sont nombreuses), mais les hommes aussi ont tout à gagner à l'égalité. Alors pourquoi ce rejet et pourquoi ces craintes ?

Les explications sont certainement nombreuses : idéalisation du passé, défense d'une position avantageuse (pour les hommes, parfois également - mais plus rarement - pour les femmes), réelle croyance en un modèle déséquilibré dicté par des différences "naturelles"... Ce billet ne se veut pas exhaustif ; parmi ces causes, une me parait très répandue et attire particulièrement mon attention : la solution de facilité.


Les générations qui nous ont précédées sont nées et ont évolué dans un monde binaire. En grandissant, l'enfant, selon qu'il soit fille ou garçon, découvrait son destin. Le destin du garçon, c'était de devenir un homme, de posséder une femme, de fonder une famille et d'assurer la subsistance. Et avec un peu de chance, il suivait les traces de son père. Le destin de la fille, c'était de devenir une femme, de se marier, de porter les enfants et de tenir la maison. Chacun étant de plus étiqueté du fait de ses origines sociales, la société trouvait son équilibre dans ce double déterminisme : celui du sexe, et celui des origines. Chacun apprenait sa place dès l'enfance, l'intégrait et y répondait. L'existence avait un but et un sens, établi par la société.

Comme ça devait être simple ! Peu épanouissant, certainement, pour tous ceux qui ne se reconnaissaient pas dans ce modèle et que la société forçait à s'y conformer... Mais rassurant, probablement.
La liberté, c'est une autre paire de manches. Bousculer ce modèle, c'est obliger chacun à se poser à la question : qui suis-je ? Qu'est-ce que je veux faire du temps qui m'est imparti ? Et qu'elles sont difficiles, ces questions ! Combien de jeunes se lancent dans des études longues pour repousser le moment d'avoir à choisir sa future activité professionnelle ? Je le sais, je l'ai fait ! Combien regrettent leurs choix, combien rêvent d'autre chose ?
C'est épuisant, la liberté ; c'est effrayant. Ca suppose d'essayer de sortir le meilleur de soi-même, ça suppose de repousser ses limites, ça suppose de renoncer à une existence rassurante et toute tracée d'avance !
Et si ça ne marche pas, si on parvient pas à se trouver soi-même, à comprendre qui on est et pourquoi on est là, qui est à blâmer ? Ce n'est plus la société, c'est nous-mêmes. C'est dangereux, la liberté.

Parfois, j'en viendrais presque à comprendre ces femmes qui se disent fières de se faire appeler "mademoiselle" et de gagner le droit de se faire appeler "madame" en "s'élevant" par le mariage, en renonçant à leur identité pour se fondre dans celle de leur mari. Ces femmes qui souhaiteraient pouvoir cesser de travailler pour rester à la maison tandis que leur mari va gagner de quoi entretenir la famille. C'est rassurant, un monde binaire où le rôle de chacun est défini d'avance.

Oui, c'est rassurant. Mais ce n'est pas épanouissant.
C'est rassurant, mais c'est contraire à la liberté individuelle de chacun d'exprimer sa propre personnalité et ses propres choix.

Alors à tous ceux qui sont nostalgiques d'une époque où hommes et femmes avaient chacun une place bien définie (de même qu'enfants de bourgeois, enfants d'ouvriers ou enfants d'intellectuels), considérez que ce maigre réconfort est bien une faible prix à payer en comparaison de la liberté individuelle et de l'égalité entre les sexes, à laquelle nous avons tous à gagner.

Comme lu récemment dans l'article "La journée de Lafâme", L’écrivain Jean Guéhenno, dans son Journal des Années Noires, écrivait :

« On ne chan­ge pas la vie à soi seul et ce n’est rien d’être libre en rêve. Le problème de la liberté intéresse tout le troupeau. Tout le troupeau sera libre ou pas une bête ne le sera. »