lundi 10 octobre 2011

Il y a des causes plus importantes !


La campagne sur la suppression de « Mademoiselle » des formulaires administratifs (et pourquoi pas, du vocabulaire) a provoqué, comme toujours, une levée de boucliers.

Parmi les réactions en face, entre les femmes n’assumant pas leur âge (« Mademoiselle, c’est flatteur ! »), les peurs diverses (peur des féministes, peur du changement…) et les amoureux de la poésie (« Mademoiselle, c’est tellement plus joli ! »), une en particulier me donne envie de m’attarder :

« Il y a des causes plus importantes ! »
(Réaction souvent précédée ou suivie d’un « Elles n’ont vraiment que ça à faire » ou toute remarque du même genre, plus ou moins aimables ou impliquant des frustrations sexuelles.)

Oui.
Il y a des causes plus importantes.
Il y a des discriminations à l’embauche, des discriminations dans l’emploi. Des discriminations dans les représentations médiatiques de l’homme et de la femme. Des discriminations face aux tâches ménagères et aux responsabilités familiales. Il y a des femmes battues, des femmes violées – des hommes aussi.
Et puis il y a la maladie, la famine et la guerre.

Des causes plus importantes, comme nous le rappellent si justement ces messieurs – dames qui, la plupart du temps, ne s’investissent contre aucune.

Alors « Mademoiselle », franchement, hein…

Certes. Sauf que vous pourriez facilement noter que ceux et celles qui se sont lancés dans cette campagne, qui l’ont portée et relayée, sont aussi souvent ceux qui s’investissent contre ces « causes plus importantes », contre les discriminations, contre les violences, contre les insultes et les humiliations. Et il y a une bonne raison à ça.

C’est qu’ils ont compris, ces gens. Ils ont compris qu’aujourd’hui le sexisme se cache dans des recoins sombres où on ne l’attend pas forcément, pire, où on ne le voit pas forcément et que c’est ce sexisme insidieux, quotidien, « ordinaire », qui construit celui de la société… et le nôtre.
Elles viennent de là, les discriminations et les violences. Il vient de là, notre sexisme. De toutes les représentations biaisées de l’homme et de la femme qu’on nous inculque à longueur de journée, depuis notre enfance.

Il vient des jeux sportifs qu’on dit réservés aux garçons, à l’école. Des petites filles qui sont des pleurnicheuses, tandis qu’ « un garçon, ça ne pleure pas ». De la faute des petites filles, quand un petit garçon vient soulever leur jupe en cour de récré (« c’est normal, ils sont curieux ») : elles n’avaient qu’à mettre un pantalon ou un collant. Des parents de petites filles, qu’on plaint – parfois devant les enfants ! – de ne pas avoir « réussi » à avoir de garçons. Plus tard, des sifflements, des remarques dégradantes voire des insultes dans la rue, dont on veut nous faire croire que c’est « normal ». De la notion éculée du « chef de famille », le père, forcément. De la substitution du nom du mari au « nom de jeune fille », niant l’identité féminine. Des publicités comme celle de Casa, reléguant la femme aux fourneaux, au ménage, au shopping et l’homme à l’informatique, à la voiture, au bricolage. Des mille clichés qu’on véhicule sur les femmes multi-tâches ou plus sensibles que les hommes…
Et de l’étiquette « Mademoiselle » ou « Madame » qu’on colle aux femmes en fonction de leur « disponibilité sexuelle ».

Mille choses, mille détails qui souvent nous échappent au quotidien et nous façonnent d’autant plus facilement – et malgré nous – des mentalités inégalitaires.
Et on ne fait pas évoluer des mentalités aux forceps.

Les lois, les quotas, les amendes ne peuvent pas faire évoluer la situation de toutes ; au mieux, la situation de l’élite qui sort des meilleures écoles, en augmentant donc une fracture sociale entre les femmes. Pour que la société évolue réellement sur l’égalité (professionnelle, familiale, politique, sociale…) entre les hommes et les femmes, il faut qu’elle reconnaisse réellement cette égalité comme vraie.
Il faut, donc, que les mentalités changent.

Alors oui, lutter contre les discriminations, lutter contre les violences et les préjugés.
Mais oui aussi, cent fois oui, lutter contre le sexisme ordinaire qu’on subit au quotidien.

Ce n’est pas important. C’est nécessaire.